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Compiègne Thème – la vision

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En tant que disciple de Jésus, Julie savait que la croix était inévitable dans sa vie: elle fit l’expérience d’épreuves et de souffrance. Mais elle savait aussi que c’était par la croix qu’elle ferait l’expérience de la résurrection et d’une nouvelle vie.

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Dessin de la Bande dessinée, sainte Julie Billiart, éditions du Signe, 2000. (Disponible au Centre d’héritage des SND – heritagecentre@sndden.org)

Menacées à Gournay-sur-Aronde par les révolutionnaires, Julie et sa nièce Félicité sont emmenées à Compiègne et abandonnées dans la cour d’une auberge. Ce devait être en avril 1792, comme le rappelle un graffiti sur le mur du château de Gournay-sur-Aronde. Les années passées à Compiègne sont sans doute les plus difficiles de la vie de Julie. La santé de Julie se détériore vite : tout-à-fait paralysée, elle perd l’usage de la parole comme en témoigne l’abbé de Lamarche qui l’a connue en 1793 : « La Mère Julie vivait retirée dans une chambre, avec une de ses nièces qui la servait. J’allais la visiter, elle ne parlait que par signes. Pour la confesser, il fallait qu’elle fût avertie au moins une heure à l’avance. ». Infirme, elle s’offre en victime, présentant au Christ sa vie de femme dépossédée de toute activité et de toute possibilité de service. Poursuivies et indésirables, Julie et sa nièce changent plusieurs fois de logis jusqu’en octobre 1794, date à laquelle Madame Baudoin qui passait autrefois ses étés à Cuvilly prit Julie sous sa protection et la fit venir à Amiens.

• Compiègne et la Révolution

Alors que Julie est à Compiègne, le Roi Louis XVI est arrêté. C’est la fin de la royauté en France : la monarchie est remplacée par une République en septembre 1792. Le roi est exécuté mais pour faire face aux nombreux contre-révolutionnaires et monarchistes français, Robespierre met en place des mesures exceptionnelles qui seront appelées plus tard la « Terreur ». La plus connue est la terrible loi des suspects qui impose de recenser tous ceux qui desservent la cause de la Révolution. Partout, des comités de surveillance contrôlent l’opinion. Ils envoient les suspects aux tribunaux d’exception ou au tribunal révolutionnaire. Près de 20 000 personnes, suspectées de sympathie pour la contre-révolution, sont exécutées.

« Les jours ténébreux sont peut-être pour
nous les plus heureux pour glorifier le bon Dieu. »
Julie Billiart

• Julie, « l’indésirable »

Partout on recherche ceux qui desservent la cause de la Révolution française : c’est le cas des 16 Carmélites de Compiègne qui refusent de prêter serment de fidélité à la Nation (car en opposition avec leurs vœux d’obéissance). Le 17 juillet 1794, les Carmélites de Compiègne sont guillotinées à Paris.

Cette nouvelle fut sans doute très douloureuse pour Julie car elle était en relation avec les Carmélites de Compiègne (il s’agit du thème du mois de juillet : Julie et la persécution des Carmélites de Compiègne) :

  •  elle connaissait l’abbé de Lamarche qui, déguisé en ouvrier, avait béni chacune des Carmélites allant à la mort.
  • par sa nièce Félicité qui lavait le linge pour elles. On le sait grâce à une lettre de Mère Henriette de Croissy, Carmélite (entre 1792-1794).

Comme les Carmélites, Julie s’offre à Dieu pour sauver la France et les chrétiens ; elle souffrira profondément de leur mort violente à Paris en juillet 1794. Une lettre du Père de Lamarche à l’abbé Belfroy en 1820 permet d’approcher un peu le mystère de solidarité étonnante vécu par Julie à Compiègne avec tous les opprimés, les laissés pour compte : « Je l’ai suivie par intervalles environ une année ; j’admirais de plus en plus les progrès qu’elle faisait dans la piété. Elle s’offrait continuellement comme victime à Dieu pour apaiser sa colère… toujours calme, toujours unie à Dieu. Son oraison était presque continuelle. ». Le témoignage de l’abbé de Lamarche exprime son admiration pour la foi et la force d’âme de Julie.

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• Julie, isolée et sans grande nourriture spirituelle

Auprès de Julie, peu de personnes : sa nièce Félicité, qui au jour le jour devait la tenir au courant de la situation extérieure et notamment de la mort de son père en juin 1792. A partir de 1793, l’abbé de Lamarche qui fait sa connaissance alors « qu’il rendait des services de religion » à des personnes pieuses et aux Carmélites. On peut émettre l’hypothèse que ces dernières ont été à l’origine de cette rencontre, ou bien que l’abbé de Lamarche ait connu, par l’abbé Courouble, en 1792, l’adresse et le nom de l’infirme. Et sans doute, avant leur exil pour Liège, en novembre 1792, les abbés Courouble et Carlet, directeurs l’un des Carmélites, l’autre de la Visitation.

• « Confiance, amour, abandon total entre les mains du bon Dieu : voilà notre force, notre soutien » Julie Billiart

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Dessin de la Bande dessinée, sainte Julie Billiart, éditions du Signe, 2000. (Disponible au Centre d’héritage des SND– heritagecentre@sndden.org)

C’est lorsqu’elle souffrait le plus de son état physique, quand elle était totalement impuissante, traquée, entourée de la violence et de l’insécurité de l’époque que Julie vécut une des expériences spirituelles les plus profondes de sa vie. C’est à Compiègne qu’un jour, ravie en extase, Julie voit soudain Jésus en croix sur le Calvaire, entouré d’un grand nombre de femmes portant un costume religieux qu’elle ne connaît pas. Julie reçoit alors sa vocation de fondatrice : « Ce sont les Filles que je te donne dans l’Institut qui sera marqué de ma croix. »

C’est dans les souvenirs de quelques pensionnaires et surtout dans les dépositions en vue de la béatification (1881-1889) conservées dans les archives de la congrégation à Namur que nous trouvons des témoignages mentionnant la vision que Julie a eue à Compiègne vers 1793.

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Photo des fardes contenant les dépositions des sœurs en vue de la béatification de Julie. Archives générales de la congrégation à Namur.

« Elle avait eu une vision où le bon Dieu lui avait révélé l’œuvre qu’elle devait un jour fonder. Elle avait vu un calvaire, puis tout ce qu’elle devait endurer : souffrances, persécutions, etc., etc. Elle avait vu aussi des religieuses avec notre costume, et notre Seigneur lui avait dit : « Ces religieuses seront vos enfants. » Souvenirs de Mère Julie par Sœur Reine Cambier âgée de 78 ans, 1879 [Cahier vert 29 (Archives générales), p. 130-134].

1. Julie parle très peu de cette intuition mystique. Ce sont toujours des révélations intimes à l’une ou l’autre confidente.

« Comme je n’en ai jamais parlé à personne puisque cela m’était dit en confiance, j’ai un peu oublié. » Témoignage de Mademoiselle Henriette Fallon âgée de 84 ans (ancienne pensionnaire qui a connu Julie Billiart en 1809), Namur, 1879 [Cahier vert 28 (Archives générales), p. 78].

«Notre fondatrice était si humble qu’elle ne parlait jamais de cette vision. Nous l’avons connue par ma Sœur Anastasie, supérieure de la maison de Namur (1816-23). […] Sr Madeleine (celle qui marchait à béquilles) m’a raconté les mêmes choses, mais ma Mère Julie se confiait très rarement à ce sujet. » Souvenirs de Mère Julie par Sœur Reine Cambier, 1879.

« En 1812, si je ne me trompe pas, au moment où ma Mère Julie se rendait à Amiens pour la réunion, elle a eu encore une vision et l’a écrite à notre chère Mère Saint-Joseph, que nous avons voulu interroger à ce sujet, mais elle répondait : « Vous saurez tout cela au ciel. » puis elle souriait et quand nous insistions elle disait : « Ma Mère Julie ne serait pas contente si je parlais, car elle m’a fait déchirer la lettre qu’elle m’écrivit d’Amiens, et dans laquelle elle me racontait ce que notre Seigneur lui avait montré et dit quand elle approchait d’Amiens. » Souvenirs de Mère Julie par Sœur Reine Cambier, 1879.

Voici quelques précisions sur la vision de 1812 dont parle Sr Reine (voir le Procès de Fama sanctitatis en vue de la béatification de Julie). L’évêque d’Amiens avait exprimé ses regrets d’avoir éloigné Mère Julie de son diocèse et l’invitait à y revenir. Au moment de son entrée dans la maison (rue du Faubourg de Noyon à Amiens), Julie eut une apparition de Jésus-Christ chargé de la Croix, adressant ces paroles à Julie elle-même :  « Regardez-moi et suivez-moi ; je suis la Voie, la Vérité et la Vie. » En même temps, le Sauveur paraissait s’éloigner de la maison du Faubourg-Noyon. Julie émettait beaucoup de réserves au sujet de ces grâces extraordinaires de sorte que les Sœurs ne surent que peu de choses de ce qui lui était arrivé. Mais encore une fois le thème de la croix était présent dans la vie de Julie.

2. La description de la vision est toujours la même : croix – persécution à Amiens – religieuses en costume

6_MAClaus_1882-1Télécharger le Témoignage de la Sœur Marie Adèle Claus déposé à Clapham (G-B) le 16 juin 1882. 6_MAClaus_1882 «

Les plus anciennes Sœurs de la congrégation nous ont parlé d’une vision dont fut favorisée notre Mère, pendant les années de souffrances et de privations qu’elle passa à Compiègne avant son séjour à Amiens, chez le Vicomte Blin de Bourdon : Il fut montré à Julie Billiart, encore sur son lit des douleurs, (1793), une CROIX ÉLEVÉE sur une montagne et au pied de la croix, un grand nombre de RELIGIEUSES, VÊTUES COMME NOUS LE SOMMES ; et Notre Seigneur lui dit que ces religieuses seraient ses enfants ; mais qu’elle aurait à subir une grande PERSÉCUTION À AMIENS. » Témoignage de la Sœur Marie Adèle Claus déposé à Clapham (G-B) le 16 juin 1882, pg 38-39.

3. Persécution à Amiens

« Notre bonne Mère Julie dit que c’était à cause de cette vision qu’elle avait éprouvé tant de répugnance à venir à Amiens, quand Madame Baudouin l’y appelait ; qu’elle savait que l’œuvre de l’Institut se ferait, mais qu’elle ne savait ni quand, ni comment. » Souvenirs de Mère Julie par Sœur Reine Cambier, 1879.

4. Visages qu’elle a reconnus plus tard, parmi lesquels

  • Mère Saint-Joseph : « Parfois pleine d’un confiant abandon, la bonne Mère Julie me racontait à la gloire du Sacré-Cœur de Jésus, pour lequel elle avait un si grand amour, sa guérison miraculeuse puis en se promenant elle me dit un jour, qu’étant encore sur son lit de douleur à Compiègne, incapable de bouger à cause de sa paralysie, le bon Dieu lui avait montré l’œuvre qu’il voulait accomplir par elle, et qu’elle avait vu dès lors que Mademoiselle Blin serait sa compagne dans cette œuvre, aussi ajouta-t-elle, quand Mademoiselle Blin me fit sa première visite après sa sortie de prison, je la reconnus immédiatement ! » Témoignage de Mademoiselle Henriette Fallon âgée de 84 ans (ancienne pensionnaire qui a connu Julie Billiart en 1809), Namur, 1879 [Cahier vert 28 (Archives générales), p. 78].
  • « Que dès lors elle avait distingué notre Révérende Mère St Joseph qui serait plus tard le salut et le soutien de l’Institut. » Déposition de la Sr Marie Claudine (dans le monde Julie Godefroit) le 25 janvier 1883 à Chimay, pg 56-57.

 

Après la mort de son père en 1797, Françoise était libre de se consacrer à Dieu comme elle le souhaitait. Mais, elle avait des doutes quant à la forme du projet : elle hésitait à devenir Carmélite. Ce n’est qu’à ce moment-là que Julie lui fit part de ce qu’elle avait vu au cours d’une vision qu’elle avait eue quand elle se cachait à Compiègne : des femmes religieuses rassemblées au pied de la croix et parmi elles se trouvaient le visage de Françoise que Julie ne connaissait pas encore. Après le décès du Vicomte Blin, Julie se sentait libre de lui parler de ses intuitions dans quelques lettres:

« J’ai toujours devant les yeux ce dont je vous ai parlé une fois : que le bon Dieu me fera la grâce de finir mes jours avec vous – La divine Providence ayant permis que je vous connaisse, vous aurez de quoi exercer votre zèle avec moi … – Sitôt que j’ai su la mort de votre papa, je vous ai vue vous jeter dans mes bras. Il m’a semblé que ç’allait être le moment où le bon Dieu vous donnerait à moi et moi à vous d’une manière si forte que la mort seule nous séparerait. »

  • Sr Ursule (Marie) Blondel : « Dans cette vision, elle connut distinctement chacune de ses premières religieuses, […] » « Quand la jeune MARIE (BLONDEL) se présenta à notre digne Mère, lors d’un de ses voyages à Gand, le 11 juin 1812, notre bonne Mère voyant s’approcher cette candide jeune fille de 17 ans fit un pas vers elle, et dès que Marie dit : « Ma Révérende Mère, permettez-moi de solliciter la faveur … » notre fondatrice interrompit la future postulante et l’embrassant avec effusion, lui dit : « Oui, oui, vous serez ma bonne chère fille, je vous ai vue à Compiègne. » Notices des sœurs défuntes, XIV, pg 47 et Déposition de la Sr Julienne des Anges (Marie Philomène Berlenger) le 2 août 1882 à Anvers, pg 3-4.
  • « Mais notre respect pour notre vénérée Fondatrice était tel, que pas une de nous pas même notre Supérieure, Sr Marie Steenhaut, n’osa demander à notre chère Mère Julie l’explication de cette parole : « Je vous ai vue à Compiègne ». Annales du Nouveau-Bois à Gand.

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