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Vocation des Sœurs de Notre-Dame de Namur : Education

 « Non seulement les liens éducatifs sont cassés, mais l’éducation est aussi devenue trop sélective et élitiste.  Il semble que nous ayons orienté vers l’éducation uniquement les peuples ou les personnes qui ont un certain niveau ou une certaine capacité : il est certain que tous les enfants, tous les jeunes, n’ont pas le même droit à l’éducation.  Ceci est une réalité mondiale qui fait honte.  C’est une réalité qui conduit à une sélection entre les hommes et qui, au lieu de rapprocher les peules, les éloigne ; éloigne aussi riches et pauvres ; éloigne une culture de l’autre…  C’est ici que vient notre travail : chercher des voies nouvelles. »

Pape François, Congrès mondial sur l’éducation, Rome, 21 novembre 2015.

Logo des écoles des Sœurs de Notre-Dame réalisé par Madame Carla Findlay

La tradition de la congrégation des Sœurs de Notre-Dame est centrée sur l’éducation.  Celle-ci est marquée par les valeurs évangéliques vécues par sainte Julie Billiart, telles que la bonté, la confiance, le respect de la dignité humaine et de celle du fils de Dieu.

Mère Julie dans les classes

Le 2 février 1804, Julie Billiart et Françoise Blin de Bourdon se consacrent à Dieu par les vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance et fondent un institut voué à l’éducation chrétienne.  L’acte de consécration de Françoise Blin de Bourdon est conservé dans les archives générales de la congrégation.  Voici ce que l’on peut lire à propos de la mission qu’elle se donne : Françoise s’engage à travailler de toutes ses forces à l’instruction religieuse des « pauvres orphelines ».  Pour « suppléer à son impuissance d’étendre son service à toutes les pauvres abandonnées des villes et des campagnes », elle se propose de « préparer des maîtresses d’école » qui iraient là où elles seraient demandées.

Cliquez sur le document pour l’agrandir et le lire. Première page de la Consécration du 2 février 1804, Autographe de Françoise Blin, s.d. (AG des SND, Namur, BC300).
Cliquez sur le document pour l’agrandir et le lire. Première page de la Consécration du 2 février 1804, Autographe de Françoise Blin, s.d. (AG des SND, Namur, BC300).

Le climat historique et les débuts de l’œuvre d’éducation

Nous sommes au lendemain de la Révolution Française de 1789.  Certes, la Convention nationale a émis l’idée d’écoles accessibles à tous les enfants et a d’ailleurs rédigé une loi scolaire porteuse d’espérance mais qui n’a pas eu de résultat significatif.  Aucune école primaire n’est ouverte.  Les enfants dont les familles peuvent payer la scolarité sont instruits par des maîtres qui vivent de cette rétribution.  Pour lutter contre l’ignorance des pauvres, l’Eglise crée quelques écoles dominicales mais aucune classe gratuite ne fonctionne chaque jour.  Les enfants pauvres grandissent donc dans l’ignorance la plus complète.  « La Providence a placé Julie à l’endroit et au moment où sa vie pouvait être la plus féconde.  Cinquante ans plus tôt, son œuvre eût été impossible ; cinquante plus tard, elle serait venue trop tard. »  (Sœur Mary Linscott, Au ciel, à pied, 1969).

En consacrant son Institut à l’éducation des plus pauvres, Julie remplit un vide institutionnel.  Voilà pourquoi lors de la création de ses premières classes, Julie ne veut que des jeunes filles pauvres qui ne peuvent pas payer leur instruction.

Le pouvoir de Napoléon ne facilite pas la vie des Congrégations enseignantes ou hospitalières.  Napoléon se rend quand même compte que l’enseignement est trop coûteux pour l’Etat et autorise les congrégations à le faire.  Une autorisation impériale est exigée ; cette reconnaissance n’est pas accordée en vertu du droit à la liberté d’association, mais en fonction des services rendus en matière d’enseignement ou d’assistance. 

Le 19 juin 1806, les statuts de l’Association dite de Notre-Dame sont approuvés par Napoléon.  L’ouverture d’écoles gratuites est autorisée.  Les premières classes des Sœurs de Notre-Dame s’ouvrent à Amiens en 1806.

Cliquez sur le document pour l’agrandir et le lire. Approbation des statuts par Napoléon, le 19 juin 1806, Archives nationales de Paris, AN, F19 6310 n°1150.

A la mort de Julie Billiart en 1816, une dizaine d’écoles existent.  Mère Saint-Joseph en ouvre d’autres, mais entre 1815 et 1830, le gouvernement hollandais de Guillaume Ier impose de grosses entraves à l’enseignement catholique.  Le projet du roi est de laïciser l’enseignement et de refuser à toute autorité étrangère d’enseigner.  Le Roi Guillaume Ier fixe le nombre de sœurs autorisées dans chaque maison.  Les sœurs sont obligées de passer un examen devant la commission d’instruction.  Mère Saint-Joseph songe à démissionner comme supérieure générale en faveur d’une sœur d’origine flamande pour le bien de la congrégation.  Entretemps, Mère Saint-Joseph avait accepté la prise en charge d’hospices puisque les écoles n’étaient plus viables.  Finalement, en décembre 1824, elle reçoit le document de naturalisation et devient citoyenne des Pays-Bas.

Cliquez sur le document pour l’agrandir et le lire. Acte de naturalisation de Françoise Blin de Bourdon. Document signé par le Roi Guillaume de Hollande et écrit en néerlandais et en français. Voyez le sceau du roi. Le document en parchemin a été touché par l’eau et le feu durant le bombardement de 1940.

Education : des religieuses qualifiées pour une mission efficace

1. Une bonne formation

Etant donné les exigences du métier, la candidate doit posséder les qualités requises, parmi celles-ci une conviction chrétienne sincère et une capacité à la partager, à la communiquer avec chaleur et gaieté mais aussi avec fermeté.  « On choisit des personnes d’un caractère gai pour former les enfants. »  (Julie, Lettre 349, 1er septembre 1814).  « Il ne faut pas qu’on puisse dire d’une éducatrice qu’elle est trop bonne.  Nous sommes dans un siècle où il faut tant de force d’âme, tant de caractère. »  (Julie, Lettre 168, 16 mars 1811).

Pour Julie, le développement du caractère et de la personnalité des enseignantes était d’une importance primordiale.  « Ce que l’enseignante est a plus d’importance que ce qu’elle fait ou ce qu’elle sait. » 

Ancienne gravure de la maison mère à Namur vers 1880.

Le temps de formation (noviciat) dure deux ans et fournit aux sœurs une formation de base.  Comme le souligne Mère Saint-Joseph, « … Le noviciat est fort long, comme elles sont en grande partie destinées à instruire, elles doivent être bien formées aux vertus et aux sciences ; il faut quelques années quoiqu’il en arrive encore assez souvent de bonnes familles et déjà toutes instruites et que quelques unes de nos élèves se destinent à notre état, ce qui abrège l’ouvrage. » (Lettre de Mère Saint-Joseph à sa famille, janvier 1832).  Les sœurs sont ensuite envoyées dans les maisons secondaires parfois éloignées de la maison mère.  L’expérience qu’elles acquerront continuera de les former tout au long de leur vie. 

Noviciat à Namur construit en 1887 et détruit lors du bombardement de 1940.

2. Accumuler les connaissances

Pour établir des écoles, Julie Billiart a besoin de maîtresses suffisamment instruites et capables de mener à bien l’éducation des enfants.  Julie s’applique d’abord à ce travail de formation auquel elle attache beaucoup d’importance.  C’est elle qui prend en charge les enseignements pour lesquels elle possède les compétences.  Les novices suivent des cours de catéchisme donnés par Julie Billiart elle-même.  Elle décrit dans ses lettres la méthode qu’elle utilise : « …toutes les sœurs apprennent leur catéchisme par cœur, je leur fais répéter, ensuite les sœurs se le demandent les unes aux autres, après je fais l’explication des articles ; je vois que cela va bien. »  (Lettre 64, 19 janvier 1808).  L’influence de Julie Billiart perdure au-delà de son décès car ses textes ou des exemples issus de sa vie sont utilisés à des fins pédagogiques ou d’édification. 

La formation comprenait à la fois des branches religieuses et des branches profanes.  « Il faut travailler la religion (et les vertus) sans négliger les sciences », (Julie Billiart, Lettre 162, 24 novembre 1810)  Bien que hiérarchisées, les deux compétences sont envisagées dès le noviciat.  L’écriture est très importante.    Les sœurs reçoivent aussi une formation en langue.  Les premières religieuses reçoivent aussi l’aide des Pères de la Foi en ce qui concerne leur formation aux sciences.  Le cours d’arithmétique était donné occasionnellement par le Père Thomas, ancien docteur de la Sorbonne.  « Tout ce que je demande au bon Dieu est que vous vous occupiez à vous cultiver le plus que vous pourrez. »  (Julie Billiart, Lettre 296, 24 décembre 1813).

Il est primordial que les maîtresses en sachent plus que leurs élèves.  L’incompétence des maîtresses peut devenir cause du retrait des pensionnaires et on connaît l’importance des enfants payants pour le bon fonctionnement de l’Institut.  « C’est pour nous un devoir « de n’épargner ni soin, ni peine pour nous bien instruire.  Il y aurait de grands inconvénients pour la formation de nos jeunes enfants à aller trop vite en besogne ».  Julie, Instructions.

3. Une formation de pédagogue

En plus des connaissances, les novices reçoivent une formation pédagogique.  Les écoles normales n’existaient pas encore au début du 19ème siècle.  Julie Billiart développe une vraie méthode d’enseignement.  Si l’ordre et la discipline étaient des conditions indispensables pour instruire les enfants, Julie insiste aussi beaucoup sur l’amour et le respect des enfants : « Prenez aussi garde de montrer beaucoup de douceur envers les enfants, ma fille. » (Lettre 57, 31 août 1807).  « Parlez avec respect à vos enfants, si vous voulez qu’elles vous respectent et vous aiment. »  (Lettre 336, 28 juin 1814).  Julie, elle-même, aimait les enfants « d’un amour surnaturel, intelligent, aussi tendre que profond » : « J’embrasse toutes mes petites filles que j’aime bien tendrement » (Lettre126, 17 juin 1809) ; « Je m’ennuie de ne pas les voir » (Lettre 144, 14 mars 1810) ; « Combien je serai contente si je trouve du progrès depuis mon départ !  Vous m’écrirez si elles sont bien sages. » (Lettre150, 8 juin 1810)  L’évolution des enfants est suivie de façon régulière par la supérieure générale qui demande à regarder les cahiers.  Les religieuses enseignantes se tiennent au courant des nouveautés qui sont proposées en matière d’enseignement, que ce soit pour s’y conforter (en musique par exemple) ou les refuser. 

Les élèves

L’apostolat enseignant des sœurs de Notre-Dame a pour objectif d’éduquer les jeunes filles au christianisme aussi bien pour leur enseigner des connaissances que pour leur permettre de prendre une part active dans la société.  Notre institut ne s’est proposé que « de former, par l’éducation, des mères chrétiennes, des familles chrétiennes » (Julie, 23ème conférence).  Julie insiste sur le respect de la dignité et du caractère sacré de chaque élève, elle souhaite des écoles où chaque élève puisse devenir pleinement elle-même.  « Il faut voir toutes les choses de la religion en grand mais ne point former de petites dévotes, mais de bonnes chrétiennes, des personnes utiles dans la société, de grandes âmes capables de persévérer dans le bien. »  (Julie, Lettre79, 6 juillet 1808)

1. Les différentes catégories d’élèves

Les premières sœurs de l’institut accueillent dans leurs classes des jeunes filles de moins de seize ans (Julie Billiart, Lettre 222, octobre 1812).  Ces enfants sont réparties en trois groupes de classes différents basés sur les revenus familiaux (les élèves pauvres, les externes payantes et les pensionnaires).  Il est très clair que la classe des pauvres est la principale source d’attention aux origines de la congrégation.

Dans son travail de recherche, Cécile Dupont nous donne des informations sur ces élèves.

 « Aux commencements de l’Institut, l’attention principale de Julie Billiart se tourne vers les pauvres : « Nous ne sommes que pour les pauvres, pour les pauvres, absolument que pour les pauvres. »  (Julie, Lettre 86, fin novembre 1808) Le principal souci des premières religieuses est de les fidéliser, de les faire revenir en classe.  Les enfants sont nombreux mais pas forcément assidus.  Une classe comptait aux alentours de cent élèves, une maîtresse parle de : « troupes de petites pauvres bien misérables tant pour le corps que pour l’âme » (Lettre de Catherine Daullée, 2 janvier 1809).  Ces petites pauvres appartiennent principalement à la classe ouvrière.  Avant de s’attaquer à l’âme, les sœurs débarbouillent les corps.  Face à ces corps « … malpropres mangés par les poux, remplis de gales, de teignes sans chemisier, sans bas … [dont] on voit le corps nu de toute part … » (Lettre de Catherine Daullée, 19 janvier 1811), les religieuses distribuent chemises, bonnets, mouchoirs et autres vêtements.  Ces vêtements sont un moyen de promouvoir à l’extérieur l’action de la congrégation mais ils sont surtout une façon de faire revenir les enfants pauvres.  Ces dons sont accompagnés de repas offerts aux enfants indigentes et quelquefois de dons d’argent (Lettre de Catherine Daullée, 11 avril 1811) : « Voilà le désavantage qu’il y a dans ce pays, si l’on n’habille pas les enfants, elles ne restent pas dans les classes (Lettre de Catherine Daullée, 19 janvier 1811).  Françoise Blin de Bourdon transmet dans ses lettres des aspects plus pratiques.  Les classes se donnent sous son supériorat de 8h à 11h30 puis de 13h à 17h.  Il est cependant question, dans certaines villes, de petites pauvres qui se présentent très tôt au couvent, entre autres, pour y être nourries.  Lorsque le corps est repu et plus présentable, les leçons peuvent alors déployer leur efficacité.  Le programme des classes de pauvres consiste en l’apprentissage des principes religieux, de la lecture, de l’écriture et des mathématiques de base.  Des compétences pratiques sont également inculquées aux élèves pauvres.  A Gand, elles pratiquent la dentelle.  Le catéchisme demeure cependant l’aspect primordial de leur éducation. »

Jubilé d’or de Mère Aimée de Jésus, 14 septembre 1899. Distribution de pain et d’un trousseau complet aux 640 enfants des classes gratuites de l’Institut Notre-Dame de Namur.

Les pensionnaires sont moins nombreuses.  Dans les premiers temps de l’institut, elles sont très souvent moins de dix.  Les attirer devient un enjeu de survie car elles sont la principale source de revenus des maisons secondaires.  Les pensionnaires revêtent un uniforme.  Julie Billiart espère ainsi lutter contre la coquetterie et promouvoir la simplicité (Témoignages des contemporaines, Mère Saint-Joseph et l’éducation au pensionnat de Namur, 1816-1838). 

Pupitre utilisé par les premières élèves pensionnaires, au temps de Mère Julie. Celui-ci est conservé au Centre d’héritage des Sœurs de Notre-Dame à Namur.

Les pensionnaires reçoivent une éducation dans leur langue dans la mesure du possible (le flamand principalement) et apprennent le français.  La religion est également enseignée au pensionnat car les enfants aisées doivent pratiquer les valeurs chrétiennes et en particulier la charité.  Les autres matières enseignées sont les mêmes que dans les classes de pauvres auxquelles sont additionnées des sciences et des arts plus approfondis (astrologie, gestion de livres de compte, musique, dessin…).  Le programme s’étoffe en même temps que se développe l’enseignement.  Mère Saint-Joseph met en avant le fait qu’il faille se tenir au courant de ce qui se passe dans les autres ordres afin de « répondre aux besoins du temps » (Témoignage de Félicie Minez, Mère Saint-Joseph et l’éducation au pensionnat de Namur, 1816-1838). 

Salle de dessin, Institut Notre-Dame de Namur. Photo prise entre 1906 et 1920.
Salle de musique, Institut Notre-Dame de Namur. Photo prise entre 1906 et 1920.

D’autres élèves, les externes payantes, sont accueillies dans les écoles de l’institut.  Leur programme de cours est moins étoffé que celui des pensionnaires.  Elles ne pratiquent pas la  musique et le dessin.  Les classes sont en général de taille moyenne, moins de cent élèves.

Une dernière catégorie d’élèves est mentionnée ponctuellement dans les lettres des supérieures générales : les néophytes, des élèves plus pauvres dont les frais de scolarité sont pris en charge par une bonne âme et qui compensent la charge qu’elles représentent en faisant de la dentelle (Julie Billiart, Lettre 189, 19 octobre 1811). [Note de Sr Marie-Rose Lepers : en fait, ce sont des jeunes filles plus âgées, qui doivent être rééduquées ; ce groupe a posé problème et, très vite, les sœurs ont cessé de s’en occuper.]

2. Programme et méthodologie

Les premiers programmes sont simples et peu différenciés pour les élèves payantes ou les classes gratuites.  L’intérêt porté à la pédagogie et à la pertinence  d’un « nouveau programme d’études » se développe après 1830 (Annales des Archives Générales, Tome 3, 3 mai 1833).  Les circonstances sont alors plus propices à une réflexion alliant méthode et programme.  C’est en 1832 que Françoise Blin de Bourdon, en collaboration avec les jésuites, établit un programme plus vaste.  L’annaliste des sœurs explique : « Sous la direction du révérend père Méganck et d’autres pères jésuites, nos principales sœurs maîtresses vont s’occuper à dresser un plan d’études plus étendu et plus approprié aux besoins actuels » (Annales des Archives Générales, Tome 3, août 1832).

La méthodologie avait déjà subi une importante modification via l’adoption de celle issue des Frères des Ecoles Chrétiennes (congrégation créée par Jean-Baptiste de la Salle (1651-1719) afin de fonder des écoles gratuites pour les garçons pauvres).  Les sœurs emploient des signaux pour diriger les enfants.  Ceux de Julie Billiart et Françoise Blin de Bourdon, petits instruments de bois ou métal produisant un son sec, sont encore conservés dans le Centre d’héritage établi au sein de la maison mère. 

Signal employé par Mère Julie. Celui-ci est conservé dans une vitrine au Centre d’héritage des Sœurs de Notre-Dame à Namur.

Pour conserver l’émulation au sein des élèves et lutter contre l’absentéisme, les sœurs distribuent des récompenses aux enfants les plus méritantes (Julie Billiart, Lettre 347, 19 octobre 1811).  Au centre d’héritage, sont également préservés des livres donnés comme prix à des élèves avec la signature de Mère Julie.

Prix de catéchisme mérité par Mademoiselle Jubert, signé par Julie, supérieure des Sœurs de Notre-Dame de Namur. Il s’agit d’un Formulaire des prières, édité à Namur en 1805. Ce livre de prix et d’autres (signés par Julie aussi) sont conservés au Centre d’héritage des Sœurs de Notre-Dame à Namur.
Prix de catéchisme mérité par Mademoiselle Jubert, signé par Julie, supérieure des Sœurs de Notre-Dame de Namur. Il s’agit d’un Formulaire des prières, édité à Namur en 1805. Ce livre de prix et d’autres (signés par Julie aussi) sont conservés au Centre d’héritage des Sœurs de Notre-Dame à Namur.

Conclusion

Qui aurait pensé que Julie Billiart, humble paysanne sans grande instruction, serait à l’origine d’une Congrégation enseignante des plus fécondes du XIXème siècle ?  Comme le souligne Sr Mary Linscott, « Julie était éducatrice, non en théorie mais en pratique ».  Julie qui n’avait probablement pas connaissance des écrits pédagogiques de l’époque, va pourtant se révéler grande pédagogue.  Ses lettres dans lesquelles les grandes lignes de l’éducation sont tracées nous montrent une personne pleine d’humour et d’une patience sans bornes, toujours de bonne humeur.  Julie ne cachait pas les responsabilités ni les difficultés d’une telle mission :« S’il faut bénir le bon Dieu de ce qu’il envoie des enfants à élever, » il ne faut pas oublier « qu’avec le nombre, la responsabilité augmente, car selon la religion, ce n’est pas une petite charge que d’avoir de jeunes cœurs à former.  Oh ! Qu’il est difficile de bien faire cette fonction-là dans le siècle où nous sommes. » (Julie, Lettre 163, 1er décembre 1810).  Ces lettres sont remplies de mots d’encouragement  qui stimulaient les sœurs dans leur travail : « On voudrait voir des fruits plus abondants, cela serait bien à désirer, mais nous sommes dans un siècle qui n’est pas favorable.  Il faut beaucoup prier pour nos chères enfants, afin que le Seigneur fasse fructifier la sainte semence.  Nous n’étions pas meilleures qu’elles à leur âge. »  (Julie, Lettre 204, 11 avril 1812). 

Carte des fondations de Julie. Julie fonde les premières écoles à Amiens, Saint-Nicolas, Namur, Montdidier, Rubempré et Jumet sans avoir besoin de traverser des frontières puisque la Belgique n’existait pas encore. Si à Amiens on accepte mal les voyages de Julie, il n’en est pas de même à Namur où elle est soutenue par Mgr Pisani favorable à toutes ses démarches de fondations. Elle parcourt des kilomètres pour assurer une maison accueillante aux sœurs et à leurs élèves. En 1809, elle est à Saint-Hubert ; en 1810, c’est la fondation du Nouveau Bois à Gand et, en 1811, l’installation à Zele. Malgré la guerre durant les dernières années du régime napoléonien, Julie poursuit encore son œuvre d’éducation en ouvrant des écoles à Andenne, Gembloux et Fleurus.
Plaque fixée dans l’entrée de chaque école des SND en Belgique et en France.

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Texte : Marie Felten, archiviste générale des SND de Namur et Sr Christiane Houet, coordinatrice du Centre d’héritage des SND de Namur

Traduction anglaise : Sr Jo Ann Recker

Bibliographie :

  • Tous les documents reproduits dans ce texte sont conservés aux Archives générales des SND à Namur (archives.generales@sndden.org).
  • Marie Halcant, Les idées pédagogiques de la Bienheureuse Mère Julie Billiart, Paris, 1930.

Qui est Marie Halcant, auteur des Idées pédagogiques de la Bienheureuse Mère Julie Billiart (1930) ? 

Sous ce pseudonyme, se cache Sœur Marie-Chantal (Elise Canivez, 1873-1934).  En 1918, la supérieure générale lui demande de recueillir dans les lettres, les écrits et les souvenirs de Mère Julie les notes relatives à l’instruction et à l’éducation de la jeunesse.  Ce travail est réalisé pour une séries d’opuscules intitulés « Idées pédagogiques de… » qui a pour but de mettre à l’honneur « les fondateurs d’ordres religieux enseignants qui ont reçu de Dieu les lumières spéciales pour parvenir au but de leur Institut ».

Sr Marie-Chantal instaure dans les classes élémentaires des écoles des Sœurs de Notre-Dame de nouveaux procédés d’enseignement selon le « système Montessori ».  Grâce à elle, un mouvement de rénovation des écoles enfantines se produit partout en Belgique.  Son travail exceptionnel attire les éloges des maîtres éminents en sciences pédagogiques, jusqu’en France et en Suisse.  « La compétence de Sœur Marie-Chantal était unique dans le domaine de l’éducation enfantine où elle fut une initiatrice et une pionnière. »

  • Sr Marie-Thérèse Béget, Les idées pédagogiques de Julie Billiart, s.d.
  • Cécile DUPONT, Le Salut des âmes via le développement de l’enseignement au féminin : les sœurs de Notre-Dame de Namur, entrepreneures de l’éducation (1804-1842), UCL, Louvain-la-Neuve, Juin 2014
  • Sr Mary Linscott, Au ciel, à pied, 1969.

multiculturalité: une congrégation internationale

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« De Mère Julie à Mère Ignace (1804 à 1842), l’Institut n’a pas cessé de croître ».

Ce constat, Cécile Dupont, jeune chercheuse belge de l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve, l’a développé dans un brillant mémoire en vue de l’obtention d’un master en histoire pour lequel elle a consulté les Archives Générales des SND à Namur.  Elle s’est concentrée sur les trois premières supérieures générales des SND et en particulier la correspondance (Cécile DUPONT, Le Salut des âmes via le développement de l’enseignement au féminin : les sœurs de Notre-Dame de Namur, entrepreneures de l’éducation (1804-1842), UCL, Louvain-la-Neuve, Juin 2014).

Au cours de sa vision à Amiens, le 2 février 1806, Julie Billiart réalise que ses Sœurs se répandraient hors de la France vers d’autres pays du monde.  Cette extension est prédite, dès les origines de l’Institut, par l’évêque de Gand.  Dans ses lettres, Julie répète plusieurs fois les propos du prélat :  «Comme Mgr de Broglie m’avait promis de beaucoup s’intéresser à notre établissement, et que je lui avais dit bien clairement, que si l’on ne voulait pas donner un autre local à mes Sœurs de St-Nicolas, que je les emmènerais à Namur, il m’avait nettement dit sa façon de penser, lui ; que nous n’étions pas faites pour rester dans un seul diocèse : « Non, Mère Julie, ce n’est pas là votre vocation. » (Lettre 113, 25 avril 1809).  La troisième fois qu’elle énonce l’avis de l’évêque, elle y ajoute une dimension internationale : il est question que la congrégation s’étende « partout dans le monde » (Lettre 114, 26 avril 1809).

1. Missionnaires chez soi : les maisons françaises et belges

Dès l’origine de la congrégation, la fondatrice entreprend d’élargir le champ de son action.  D’abord, sans quitter l’espace français puis belge, les sœurs se font missionnaires.  Elles sont investies d’un rôle apostolique qu’elles se doivent de mener à bien quel que soit l’endroit où les enverra la volonté divine. 

Carte de la France: En 1804, Julie fonde la congrégation dans une France élargie. En effet, la victoire des Français à Fleurus en 1795 entraina l’annexion des Pays-Bas autrichiens et de la principauté de Liège (Belgique actuelle) à la France pour vingt ans. La carte se dessine à nouveau en 1815 après la bataille de Waterloo : les « Belges » sont unis aux Hollandais dans un royaume des Pays-Bas. Mère Saint-Joseph connaîtra l’indépendance de la Belgique en 1830.

La fréquence des fondations suit de très près l’évolution politique.  Mère Julie et Mère Ignace fondent, toutes deux, une à plusieurs maisons par an.  Le supériorat de Mère Saint-Joseph est lui beaucoup moins riche en nouvelles implantations.  Le début de son supériorat voit la concrétisation des derniers projets de Julie Billiart.  Par la suite, Françoise Blin de Bourdon ne fonde presque pas de nouvelles maisons pendant environ 20 ans.  Cet arrêt des fondations est dû au contexte politique de l’époque hollandaise et à l’inimitée du roi Guillaume Ier envers les congrégations religieuses.

Première expérience de la multi-culturalité

Le premier voyage de Julie hors du territoire francophone est celui qu’elle entreprend en juin 1806 avec le Père Leblanc en Flandre où ce dernier est chargé d’inspecter le collège de Roulers.  Julie et le Père Leblanc rencontrent Mgr de Fallot de Beaumont, évêque de Gand de 1802 à 1807, qui exprime le désir d’avoir dans son diocèse une maison des Sœurs de Notre-Dame.  Mère Julie accepte la demande de l’évêque à condition d’avoir des jeunes filles parlant la langue flamande et de les former d’abord à la vie religieuse et aux méthodes d’enseignement. 

En Flandre, région annexée à la France depuis 12 ans, on parle une langue incompréhensible pour Julie.  Le français y est la langue de l’occupant.

 « J’ai fait lire sa lettre en flamand. »  Lettre 106 (Février 1809)

 « […] j’eus un peu de difficulté de le trouver, car ne pouvant parler flamand pour le demander, le bon Dieu permit que je m’adresse à un homme qui ne put jamais me dire un seul mot.  Enfin, je m’en fus tout droit à l’église St-Pierre où je m’adressais encore à un homme qui ne put non plus me répondre, et, […]. » Lettre 113 (Avril 1809)

En revenant de Gand, Julie Billiart demande à la jeune Marie Steenhaut ce que la population dit sur son dos, et en particulier de son costume.

Cliquez sur le document pour l’agrandir et le lire – Le lendemain, notre Mère me conduisit à la grande messe, et dans la rue, elle fut plus d’une fois insultée par les garçons à cause de son singulier costume de voyage. On lui donna toutes sortes de noms, noire sorcière, peau de jambon, aventurière, devineresse, etc. Notre Mère me fit répéter en français les cris flamands, elle en riait, et moi j’étais humiliée de me trouver près d’elle au point qu’en rentrant dans l’église, je lui laissait avancer seule, et j’entendit la messe ou plutôt je donnais cours à mes distractions étant bien loin d’elle toute confuse et humiliée, notre Mère ne s’en apperçut qu’en sortant de l’église, elle me questionna dans la rue, et je lui fis connaitre mon orgueil, elle fut satisfaite de ma sincérité, me donna un avis sur l’humilité et mon estime pour elle augmenta et je fus plus forte dans d’autres épreuves qui m’attendaient. « Premier voyage de Mère Julie en Flandre (1806) », Récit autographe de Sr Marie Steenhaut (orthographe laissée telle que dans le texte original).

Mère Julie trouve les Flamands généreux et travailleurs.  C’est ce qu’elle écrit dans ses lettres : « Ils sont tous, ces bons Flamands, d’une si mûre réflexion pour exécuter leurs affaires, et ne se soucient pas d’un retard, si je n’ai pas le temps de les écouter. »  (Lettre 47, Janvier 1807).  Mais les Flamands peuvent aussi lui mener la vie dure ; d’où quelques expressions peu flatteuses… 

En quittant St-Nicolas pour Gand : « Nous sommes parties […] au milieu de cent personnes qui, je vous l’assure, ne donnaient aucune marque de peine, de se voir enlever un établissement si précieux pour eux ; au contraire, la population nous disait toutes sortes de moqueries. […]  Enfin les autres circonstances que je vous dirai de vive voix, vous feront bien voir que le bon Dieu ne voulait plus que nos bonnes Sœurs restent plus longtemps dans ce pays-là ; nous voilà donc parties. » Lettre 117 (Mai 1809)

Dans ses Mémoires, Françoise nous donne des détails sur les premières postulantes flamandes :

 « Les bontés de Mgr de Beaumont et les promesses de toutes sortes d’assistances qu’il fit à notre Mère, pour le temps que ses sujets seraient préparés, la satisfirent beaucoup et lui donnèrent des espérances fondées de travailler en Flandre pour la gloire de Dieu.  Elle ne ramena de ce premier voyage qu’une fille appelée Thérésia Lauwers, qui ne savait pas un mot de français; elle revint le 29 juin 1806.  On lui avait promis, en Flandre, de lui chercher des personnes qui eussent vocation pour cette œuvre; en effet, elle repartit le 28 août, même année et revint le 18 septembre, ramenant avec elle cinq Flamandes, dont deux ne savaient pas du tout le français, et une, très peu.  Elle partit le 13 novembre; elle ramena en Flandre Thérésia Lauwers à qui nous ne convenions pas et qui ne nous convenait pas davantage. »

Notons aussi que lors de son voyage à Gand, Mère Julie fait une halte avec les jeunes postulantes à Courtrai où elle loge notamment chez Madame Goethals, tante de Mère Ignace, troisième supérieure générale et promotrice des missions lointaines, qui avait alors 6 ans.  La petite Thérèse Goethals reçut une bénédiction de Julie qui l’embrassa tendrement.

Pour Mère Julie, la Flandre est importante.  Elle y reçoit comme postulantes beaucoup de jeunes filles en qui elle découvre des vertus solides.

 « Je vous dirai qu’il se présente bien des flamandes pour notre maison, mais je crois ne vous en ramener qu’une dont ma chère bonne petite Sœur Marie sera bien étonnée, car c’est sa bonne sœur Françoise, […]. » (Lettre 43, Novembre 1806) Ce sont Marie Steenhaut et sa sœur Ciska (Françoise Steenhaut).

 « Vous avez bien fait de parler au confesseur, des flamandes, pour leurs communions, comme je vous l’ai dit et pour qu’il y ait de l’ordre.  Je suis bien aise que vous soyez contente de la petite sœur de Marie (Steenhaut) et je suis aussi contente d’elle-même ; c’est une bonne petite Sœur, elle nous est d’une grande utilité avec toutes nos flamandes. » (Lettre 46, Décembre 1806)

Il est intéressant de remarquer que dans les Archives Générales des SND, nous avons de nombreux documents autographes de Sr Marie Steenhaut ; ceux-ci nous sont très précieux pour retracer l’histoire et découvrir les émotions des Sœurs de l’époque.  Parmi ceux-ci : 1er voyage de Julie en Flandre en 1806 ; Annales de Saint-Nicolas et Gand ; Quelques lettres. 

Cliquez sur le document pour l’agrandir et le lire – Première page des Annales de Saint-Nicolas : Notice sur l’établissement de St-Nicolas, transféré à Gand après deux ans et demi d’existence dans la paroisse de St-Pierre, écrit en l’année 1844 par un témoin oculaire et auriculaire, Sœur Marie de Jésus Steenhaut, supérieure.

La jeune sœur de Sr Marie Steenhaut, Françoise (Sœur Ciska), était très appréciée de Mère Julie qui en parle dans ses lettres avec beaucoup d’affection.  Dans ses Mémoires, Mère Saint-Joseph ne laisse nul doute quant aux qualités de cette jeune fille :

« Mais revenons à notre principale affaire.  J’ai laissé M. Cottu dans la chambre de la Mère Julie à qui, étant sur le point de sortir, il demanda:
– Qui emmènerez-vous d’abord avec vous?
– Mais dit-elle, j’emmènerai une telle, une telle, etc.
Et quand elle nomma la Soeur Ciska Steenhaut, qui était une jeune Flamande de Gand âgée de dix-sept ans, sachant bien le français, dont M. de Sambucy faisait grand cas et qu’il eût bien voulu retenir:
– Non, dit M. Cottu, laissez-la.
– Mais, mon Père, n’aviez-vous pas dit que je devais les emmener toutes?
– Je vous dis de la laisser; on ne sait pas si Monseigneur n’en voudra pas garder quelques-unes.
– Mon Père, elle ne voudra pas rester, j’en suis sûre.
– Laissez-la toujours.
– Je vous assure, – ajouta la Mère Julie, – qu’elle ne le voudra pas. »

Mère Julie fonde trois écoles dans le diocèse de Gand (en Flandre).  Le 9 décembre 1806, elle établit la maison de Saint-Nicolas.  Trois sœurs y sont envoyées dont Sr Marie Steenhaut chargée de s’occuper de la classe de flamand.  Mais, en mai 1809, les Sœurs sont contraintes de quitter cette maison à cause de son insalubrité.  Elles arrivent à Gand où Mère Julie eut de la peine à trouver un logement convenable.  Ce n’est que le 21 novembre 1809 que les Sœurs s’installent à la rue des femmes à Gand et fondent l’école du Nouveau-Bois le 15 février 1810.  Le 11 novembre 1811, les Sœurs établissent une école à Zele.

Cliquez sur le document pour l’agrandir et le lire – Extraits de la liste des voyages de Mère Julie (Page 1 à 3 : de 1804 à 1809 – fondations des maisons en Flandre), autographe de Mère Saint-Joseph.
Extraits de la liste des voyages de Mère Julie (Page 1 à 3 : de 1804 à 1809 – fondations des maisons en Flandre), autographe de Mère Saint-Joseph.

Une fois installées, les religieuses doivent se ménager une place au sein de la population et s’intégrer aux us locaux.  La langue est l’un des plus importants obstacles auxquels elles se heurtent lors de leur arrivée en Flandre.  Parmi les enfants qu’elles reçoivent « il n’y en a que cinq ou six qui entendent le français sur un si grand nombre » (Lettre de Sœur Catherine Daullée à Sr Saint-Jean à St-Hubert, Gand (rue des femmes), 29 décembre 1809).  Afin de surmonter cet obstacle, la supérieure générale demande immédiatement la formation de postulantes flamandes.  Elle raccourcit également leur noviciat à deux mois afin que les sœurs puissent au plus vite commencer à enseigner dans la langue des enfants (Annales de Saint-Nicolas).  Les sœurs adaptent également leurs exigences au public auquel elles s’adressent.

2. Des perspectives internationales : les Pays-Bas et l’Amérique

Première implantation à l’étranger : la Hollande

Avant l’Amérique, les premières tentatives d’implantation hors de l’espace franco-belge sont dirigées vers la Hollande.  A la toute fin de l’année 1809, Julie Billiart entreprend un voyage à Breda.  Elle s’y rend à la demande d’une dame proposant sa maison pour y réaliser une fondation.  La dame charitable ne convainc pas Julie Billiart et la fondation ne se fit pas. 

Quelques années plus tard, en 1819, c’est à nouveau de Hollande que parvient une autre sollicitation. 

Père Matthias Wolff

Le Père Wolff, un jésuite, sollicite Mère Saint-joseph afin de placer chez les SND quelques filles à former.  La supérieure générale accepte et reçoit dans la maison de Gand trois novices hollandaises (Marie Stichters, Sophie Miltner et Lubuina van Elck).  Entre 1820 et 1821, quatre autres postulantes se présentent.  Ces jeunes femmes sont reçues et formées par les SND mais demeurent sous la direction du Père Wolff.  Ces religieuses extérieures ne sont pas destinées à demeurer dans la congrégation.  Dès l’origine, il est question qu’elles retournent fonder un établissement en Hollande.  Elles établissent une nouvelle congrégation le 29 juillet 1822 qui s’applique à l’éducation et adopte le nom de « Pédagogie chrétienne ».  Cette congrégation évolue indépendamment de celle des SND de Namur.  Elle en suit malgré tout les Règles, adaptées au contexte particulier du pays.  Aujourd’hui, cette congrégation est connue sous le nom de SND d’Amersfoort et bien qu’elles ne reconnaissent pas Julie Billiart pour fondatrice, lui vouent une dévotion particulière.

Départ pour l’Amérique : un désir de voyage mûri de longue date

Considérons avec attention ce que Cécile Dupont écrit dans son excellent travail de recherche dans les Archives Générales de la congrégation des SND.

« La volonté de partir en mission lointaine est présente chez les SND longtemps avant leur départ effectif.  Déjà sous Mère Saint-Joseph, des allusions à ce désir d’évangélisation hors d’Europe sont présentes.  Il n’existe pas encore de projet concret mais des phrases disséminées ça et là dans la correspondance témoignent d’une idée qui fait son chemin dans l’esprit de certaines : « … vous nous donnez envie d’aller en mission par toute ce que vous nous dites … mais notre tour viendra j’espère et nous pensons que le bon Dieu appellera les SND au-delà de la grande rivière.  Il n’est rien de nouveau dans notre noviciat sinon que notre désir d’aller en mission s’augmente de jour en jour. » (Lettre de Sr Louis de Gonzague à Sr Stéphanie, 1832).  C’est avec cet objectif à l’esprit que Thérèse Goethals rejoint la congrégation en 1821.  Sous le supériorat de Françoise Blin de Bourdon, en 1824, elle pense un peu trop fort à l’Amérique et Mère Saint-Joseph qui connait le désir missionnaire de sœur Ignace la tempère : « … il paraît que vous rêvez encore à l’Amérique, cependant je ne crois pas que ce soit sérieux. » (Lettre de Mère Saint-Joseph à Sr Ignace Goethals, 31 mai 1827)  C’est toutefois cette rêveuse qui permettra la réalisation de la prédiction de Mgr de Broglie. »

Mère Ignace, bien que promotrice du départ en Amérique, ne quitte pas la Belgique. 

Portrait de Mère Ignace

Elle choisit selon leur caractère, leurs compétences et leur désir, les 8 sœurs pionnières et les accompagne jusqu’à Anvers d’où elles embarquent le 3 septembre 1840, malgré les mises en garde de Mgr Purcell et les réticences des familles en Belgique. 

Sœur Louise Van der Schrieck, pionnière aux Etats-Unis et supérieure de la province de l’Ohio, pendant 38 ans (de 1848 à 1886).

« Le bateau choisi pour la traversée emmène également à son bord des pères dominicains et jésuites qui sont leurs compagnons de voyage.  Les religieuses, malades en mer, racontent avec humour leur traversée à leurs sœurs restées en Belgique. »

« Arrivées sur le nouveau continent, elles voyagent par train et par bateau.  A travers elles, sous leur plume, les sœurs de Belgique découvrent une Amérique sauvage et moderne.  Une fois à destination, les sœurs sont momentanément hébergées chez les Dames de la Charité.  De cette façon, l’emplacement de leur future maison ne leur est pas imposé.  Malgré les difficultés à trouver un bâtiment en ville, les religieuses ne souhaitent s’installer en campagne qu’en ultime recours car il est important qu’elles demeurent auprès des pauvres.  De plus, elles craignent de ne pas pouvoir s’y fournir en matériel nécessaire.  Les SND ont finalement l’opportunité d’acquérir une bâtisse sur Sixth  Street, dans le centre de Cincinnati. »

Bâtiment Sixth Street, dans le centre de Cincinnati

« L’implantation des sœurs aux Etats-Unis ne se fait pas sans difficultés.  Ce nouveau pays dresse plusieurs obstacles sur leur route.  La difficulté principale dont prennent immédiatement conscience les sœurs est la langue.  Dès leur embarquement, les religieuses s’attèlent à l’apprentissage de l’anglais.  Le révérend père French, dominicain passager sur la même traversée, leur sert de premier professeur (Lettre de Sr Louis de Gonzague à Mère Ignace, 21 octobre 1840).  Une fois sur place, les sœurs se rendent vite compte de leurs lacunes dans la maîtrise de l’anglais et de l’importance capitale de la langue pour atteindre leur but.  Elles continuent à s’entraîner deux à trois heures par jour.  Elles indiquent qu’il est nécessaire que les sœurs qui viendraient un jour les rejoindre maîtrisent l’anglais avant leur départ.  Seule sœur Louise (Joséphine van der Schrieck, une des pionnières de la mission américaine qui succède en 1848 à Sr Louis de Gonzague au poste de supérieure de la maison de Cincinnati) parvient à manier cette langue correctement, les autres religieuses peinent à l’assimiler.  Il est évident que cela ne facilite pas leurs tâches apostoliques.  La répartition des tâches selon les capacités est tributaire de la maîtrise de la langue ; il est donc moins facile ici de la respecter strictement.  Le contingent restreint de religieuses est également un frein.  Leur établissement de Cincinnati rencontre toutefois du succès.  Il s’adresse à une large tranche d’élèves.  L’élargissement de leur public et l’absence de noviciat sur place obligent les Sœurs de Notre-Dame à réclamer toujours des renforts. […] »

« Elles vont petit à petit s’adapter à leur pays d’accueil, modelées par leur nouvel environnement.  De leurs habitudes culinaires à leur conception de l’espace, leurs perceptions se transforment.  Les religieuses rencontrent en Amérique une flore et une faune nouvelle.  Elles découvrent de nouveaux goûts, des fruits inconnus et des pratiques alimentaires locales viennent enrichir leurs sens.  Les sœurs s’émerveillent par exemple en découvrant les animaux inconnus et colorés peuplant leur environnement au climat estival beaucoup plus chaud qu’en Belgique. »

« La conception du monde change dans cette terre immense.  Leur premier voyage laisse aux sœurs une impression d’immensité, mais vite elles en viennent à relativiser « …il a traversé l’océan en douze jours et demi, vous voyez que ce n’est pas une si grande affaire d’aller en Europe. » (Lettre de Sr Louis de Gonzague à Mère Ignace, 1 septembre 1841).  Très vite elles rendent compte des différences de perception : les missions de Monsieur Roppe sont à cent lieues (482km) des sœurs, « ce n’est pas fort loin dit-on en Amérique » (Lettre de Sr Louis de Gonzague à Mère Ignace, 1 octobre 1841).  De nouvelles coutumes s’invitent aussi dans le quotidien des sœurs ; ainsi, elles s’étonnent d’abord de l’échange de cadeaux à Noël qui ne se fait pas en Belgique ((Lettre de Sr Louis de Gonzague à Mère Ignace, 4 janvier 1842).  Il y a aussi des usages de politesse « … les Américains ne se saluent pas et les dames lorsqu’elles sont assises ne se lèvent pour personne » ((Lettre de Sr Louis de Gonzague à Mère Ignace, 25 décembre 1840). »

 « Outre le fait que les Sœurs doivent s’adapter au système d’éducation américain, une autre difficulté fondamentale entre les Etats-Unis et l’Europe dans laquelle agissent les sœurs est la confession de leur public majoritairement protestant. »

Conclusion

Aujourd’hui, les distances qui séparent les maisons fondées par Mère Julie en Belgique et en France nous paraissent bien courtes.  Mais du temps de Julie, il n’existe pas de transport aisé entre les villes et il est pratiquement inexistant pour relier les villages.  La diligence est souvent incommode, on marche beaucoup, les voyages sont longs.  Pour garder l’unité de la congrégation, Julie entreprend de nombreux voyages en diligence, à dos d’âne ou même souvent à pied. Entre deux voyages, Mère Julie garde le contact avec toutes les maisons en écrivant de nombreuses lettres à ses filles, surtout les supérieures des maisons secondaires. 

« Il faut nécessairement que dans une communauté comme la nôtre, plusieurs nations se trouvent rassemblées, mais la charité n’examine pas cela parce qu’il n’y a qu’une nation en Jésus Christ. » (Julie, Thèmes)

En Amérique, les religieuses  tentent de se tenir au plus près de ce qui se fait en Belgique : « nous faisons tout comme à Namur, autant que possible. » (Lettre de Sr Louis de Gonzague à Mère Ignace, 7 mai 1841).  Pour maintenir l’unité, on sait l’importance que les supérieures générales accordent à la correspondance.  Mère Ignace permet à la supérieure de Cincinnati d’écrire tous les mois malgré le coût élevé d’un envoi postal.  Elle souhaite maintenir un lien fort et un institut uni.

Texte: Marie Felten, archiviste générale des SND de Namur et Sr Christiane Houet, coordinatrice du Centre d’héritage des SND de Namur

Traduction anglaise : Sr Jo Ann Recker

Bibliographie :

  • Tous les documents reproduits dans ce texte sont conservés aux Archives générales des SND à Namur (archives.generales@sndden.org).
  • Cécile DUPONT, Le Salut des âmes via le développement de l’enseignement au féminin : les sœurs de Notre-Dame de Namur, entrepreneures de l’éducation (1804-1842), UCL, Louvain-la-Neuve, Juin 2014
  • Lire les nombreux travaux de Sr Gaby Peeters sur le rayonnement des SND dans les provinces du Nord de la Belgique.
  • Lire aussi les travaux de Sr Louanna Orth, tel que Souvenez-vous, réjouissez-vous, renouvelez-vous, 1840-1990, Cincinnati, 1990.

Mission, Evangélisation

anglais

  • Introduction :

Après le concordat de 1802, de grandes missions furent prêchées en France sous l’impulsion du pape Pie VII pour raviver la foi et revaloriser la vie chrétienne.  Les Pères de la Foi donnèrent simultanément, dans cinq paroisses de la ville d’Amiens, une mission qui s’ouvrit le 29 avril 1804 et qui dura jusqu’au 24 mai.  La mission eut un plein succès !  Julie et Françoise y avaient apporté leur collaboration en instruisant les femmes du peuple.

Julie se rendait à la cathédrale d’Amiens en chaise à porteurs afin d’y instruire le catéchisme. Dessin de Sr Genevieve du Sacré-Cœur (1878-1941) dans le livre The Charred Wood.

Après sa guérison miraculeuse (à Amiens, le 1er juin 1804), Julie partit pour Saint-Valery-sur-Somme et Abbeville avec les Pères Thomas et Enfantin.  Ses lettres témoignent de son activité apostolique et de la réussite de la mission à Saint-Valery, au cours de laquelle 40 mariages furent réhabilités.  De la mission d’Abbeville, on connaît peu de choses, les archives ayant brûlé pendant la guerre de 1940. 

Au Centre d’héritage à Namur, on peut voir le prie-Dieu de Melle Oeuillo chez qui Julie a logé à Saint-Valery. « Voici mon adresse : Melle J. B. chez Melle Oeuillo. Pour faire le catéchisme, j’ai à ma disposition un petit jardin et une grande chambre. » (Lettre 34)
Maison de Melle Oeuillo, située au 39, Quai de Romerel. Une plaque commémorative y a été apposée le 23 juillet 1992.

Voici une lettre de Julie à son amie Françoise restée à Amiens :

A sœur Blin, à Amiens – JMJ – (St-Valery) Ce 23 juin 1804

[…]  La mission de St-Valery va très bien. […], nos bons Pères sont contents et surtout Mr le Curé.  Il y a des personnes qui depuis 30 ou 40 ans ne s’étaient plus confessées et qui sont publiquement revenues à Dieu.  Il vient beaucoup de monde aux instructions qui se font le soir ; le matin, il y en a moins.  Je ne puis me lasser d’admirer la bonté de Dieu.  Ah ! Qu’il est bon, mes chères filles ! […]

Savez-vous une chose ?  C’est qu’à St-Valery, j’ai à instruire des hommes tout aussi ignorants que ceux qu’on m’adressait durant la mission d’Amiens ; je fais ce que l’on me dit – toujours une pauvre servante inutile -, je suis persuadée que le bon Dieu se passerait très facilement de moi, pauvre chétive créature.  Je vous écris à la hâte ; vous me lirez comme vous pourrez.  Je finis ma lettre en présence d’un homme à qui j’apprends : Je crois en Dieu.  Il a près de quatre-vingt-dix ans, n’a pas fait sa première Communion, mais a la meilleure volonté du monde.  […]

L’ordre, donné en août par le pouvoir aux Pères de la Foi, de quitter le diocèse d’Amiens, interrompit l’activité missionnaire de Julie.

Vue de Saint-Valery-sur-Somme

Julie a dû certainement se remémorer cette étendue d’eau à perte de vue à Saint-Valery-sur-Somme, lors de sa vision du 02 février 1806, à savoir que ses filles iraient par-delà les mers.  Ce qui lui fut confirmé par Mgr de Broglie lors de son arrivée à Gand en 1807 (malgré les fortes oppositions qu’elle rencontra à l’époque avec l’évêque d’Amiens et le supérieur de la communauté d’Amiens, Mr de Sambucy, qui ne comprenaient pas ses vues): « Non, Mère Julie vous n’êtes pas faite pour rester dans un seul diocèse »

Cela ne rejoint-il pas l’envoi de l’Evangile « Allez par le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle à toutes les nations » Mc 16,15.

Et c’est ainsi que, guérie de sa paralysie qui lui donna tant d’occasions de prière contemplative, Julie garda toujours la conviction de ce que Dieu lui avait donné à voir et à proclamer.

« Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons » Jn1, 3

  •  Quelle est la source de l’action évangélisatrice ?

Écoutons d’abord ce que nous en dit aujourd’hui le Pape François dans son exhortation « La joie de l’Evangile » (tous les N° indiqués face aux paroles du Pape proviennent de ce document) :

« Si quelqu’un a accueilli cet amour qui lui redonne le sens de la vie, comment peut-il retenir le désir de le communiquer aux autres ? ( N° 8 )

En parallèle, voici maintenant la voix de Julie :

« Une personne qui aime bien le bon Dieu fait de grandes choses avec lui et devient un puissant apôtre »   (Julie thèmes)

« Dans la miséricorde et l’amour, Dieu nous a donné assez de grâce et de force pour devenir apôtre » (Julie conférence 1812)

« Combien le bon Dieu est bon, ah ! oui ! Que ne pouvons-nous le faire entendre à tout l’univers »

D’autres paroles du Pape François :

« Dans toute forme d’évangélisation, la primauté revient toujours à Dieu, qui a voulu nous appeler à collaborer avec lui et nous stimuler avec la force de son Esprit. On doit toujours manifester que l’initiative vient de Dieu, que c’est « lui qui nous a aimés le premier » (1Jn 4,19) et que « c’est Dieu seul qui donne la croissance » (1Co 3,7) Cette conviction nous permet de conserver la joie devant une mission aussi exigeante. Elle nous demande tout, mais en même temps elle nous offre tout. » (N° 12)

N’est-ce pas aussi la conviction intime de Julie ?

« Si on ouvrait simplement les yeux de la foi, disait Mère Julie, en se rendant à la chapelle, on se sentirait dans un lieu où le bon Dieu nous attend, où il nous regarde, où il s’offre à nous, les mains pleines de grâces et le cœur prêt à nous recevoir ».

Notre spiritualité est apostolique, dans la tradition de sainte Julie. Son expérience unique de la prière et de l’action lui fit trouver la présence de Dieu partout, et d’une manière spéciale parmi les pauvres.  « Nous ne sommes que pour les pauvres, absolument que pour les pauvres. »

« Confions-nous bien au bon Dieu : c’est la seule prière que je puisse faire : « Mon Dieu, c’est votre œuvre » Avec cela, je vais à travers toutes les difficultés »  (Julie, Lettre 434)

« Le bon Dieu a permis que je sois bien dépouillée de toutes sortes d’appuis. Il ne faut que Dieu seul pour son œuvre » (Julie, Lettre 74)

« Il faut mettre toute notre confiance au bon Dieu, ma bonne fille ; vous et moi, nous ne devons faire que cela du matin au soir et lui dire : « Mon Dieu, c’est votre ouvrage, c’est votre ouvrage »

  • Ce qu’est l’évangélisation et ce qu’elle n’est pas.

Dans « La joie de l’Evangile », le pape François nous rappelle au N° 14: 

« Tous ont le droit de recevoir l’Evangile. Les chrétiens ont le devoir de l’annoncer sans exclure personne, non pas comme quelqu’un qui impose un nouveau devoir, mais bien comme quelqu’un qui partage une joie, qui indique un bel horizon, qui offre un banquet désirable. L’Eglise ne grandit pas par prosélytisme mais par « attraction ».

Voix de Julie :

« Tâchez de bien vous remplir de l’esprit du bon Dieu pour aller auprès des pauvres malades ; ne pas parler tout de suite de religion, car souvent cela rebute les personnes qui n’en ont pas ou fort peu.  (Julie, Lettre 281)

Le pape François au N° 10:« Que le monde de notre temps qui cherche, tantôt dans l’angoisse, tantôt dans l’espérance, puisse recevoir la Bonne Nouvelle, non d’évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux, mais de ministres de l’Evangile dont la vie rayonne de ferveur, qui ont les premiers reçus en eux la joie du Christ ».

Voix de Julie :

« On choisit des personnes d’un caractère gai pour former les enfants ».

Julie n’est-elle pas appelée : « la sainte qui sourit ? » .

« Le bon Dieu aime une âme qui reconnait en Lui son Père bien-aimé ; Il chérit une enfant qui se livre tranquillement, joyeusement à son amour ».

« Si on donne l’autorité à une personne d’humeur sombre, bientôt toute la maison sera sans joie. La joie du Saint -Esprit doit paraitre dans tout votre extérieur ; ainsi seulement, vous pourrez attirer les âmes à Dieu ».

Le pape François au N° 242 :

« La foi ne craint pas la raison ; au contraire, elle la cherche et lui fait confiance, parce que « la lumière de la raison et celle de la foi viennent toutes deux de Dieu ».

Voix de Julie :

« Parlez raison avec vos enfants, religion sans doute, mais commençons par la raison, cela est la chose du monde la plus utile pour entrer dans leur cœur ».  (Julie, Lettre 206)

  • Un message universel

Le pape François au N°181 :

Il s’agit du critère d’universalité, propre à la dynamique de l’Evangile, dès lors que le Père désire que tous les hommes soient sauvés et que son dessein de salut consiste dans la récapitulation de toutes choses, celles du ciel et celles de la terre sous un seul Seigneur qui est le Christ (EP,1,10).

Voix de Julie et de Françoise :

« Notre charité ne doit pas se limiter à l’amour que nous avons les unes pour les autres. Elle doit rendre notre amour vaste comme l’univers ». (Julie, Thèmes)

« Nourrissez en vous la flamme apostolique et tenez-vous prêtes : la mission de l’univers entier entre dans le but de notre Institut », disait aussi son amie Françoise  Blin de Bourdon

« Combien le bon Dieu est bon, ah ! oui, oui ! que ne pouvons-nous le faire entendre à tout l’univers » (Julie, Lettre 45)

Pour Julie et Françoise, ce n’était pas seulement une vision, ni des conseils mais c’est leur vie entière donnée infatigablement dans ce sens de l‘universalité. Rappelons-nous l’ouverture de communautés partout dans le monde.

Carte de l’expansion des SND de Namur

Dans le livre « l’appel de la route » d’Agnès Richomme, après avoir expliqué les fondations d’Amersfoort et de Coesfeld, nous lisons : « Ainsi, sans aucun lien juridique avec l’Institut de Namur fondé directement par Mère Julie Billiart, deux Congrégations se réclament de son esprit et restent fidèles à sa mémoire, se considérant à bon droit ses filles ».  Il s’agit de nos cousines, les SND d’Amersfoort et les SND de Coesfeld.

N’est-ce pas un beau témoignage donné, non seulement à la valeur intrinsèque de cet esprit de la Mère Julie, mais aussi à sa puissance d’adaptation ?

La congrégation des SND d’Amersfoort fondée le 29 juillet 1822 s’est formée après que trois candidates hollandaises furent admises au noviciat de Gand par Mère Saint-Joseph en 1819.  Pour en savoir plus, cliquez sur ce lien (http://www.snddenheritagecentre.org/MUSEE/index.php/expansion-dans-le-monde/nos-cousines-et-associes/amersfoort)

Trois premières sœurs hollandaises dans le Registre d’entrées du noviciat des SND de Namur, à GAND (1815-1840).

En 1850, l’abbé Elting, de Coesfeld, et l’évêque de Münster sollicitèrent l’aide des SND d’Amersfoort pour former à la vie religieuse deux institutrices qui s’occupaient d’orphelines.  Trois SND d’Amersfoort arrivèrent à Coesfeld en Allemagne où les candidates furent instruites selon l’esprit et la Règle des SND.  Pour en savoir plus, cliquez sur ce lien (http://www.snddenheritagecentre.org/MUSEE/index.php/expansion-dans-le-monde/nos-cousines-et-associes/coesfeld)

Hilligonde Wolbring and Elisabeth Kühling (les deux institutrices allemandes formées par les SND d’Amersfoort) avec une jeune orpheline.

C’est ainsi que des liens étroits se sont établies entre les trois congrégations.  Même si elles ne reconnaissaient pas Julie Billiart comme leur fondatrice, les SND d’Amersfoort et de Coesfeld ont une réelle dévotion envers elle.

Aujourd’hui, les Sœurs de Notre-Dame d’Amersfoort sont présentes en Hollande, Indonésie, Malawi, Philippines et Malaisie et sont engagées dans l’éducation, le travail pastoral et les soins de santé (http://srsourladyamersfoort.blogspot.com/).  Quant aux SND de Coesfeld, elles sont principalement engagées dans l’éducation mais travaillent aussi dans des cliniques, s’occupent de homes pour personnes âgées, pour enfants abandonnés ; elles œuvrent dans l’enseignement spécial pour handicapés, … (http://snd1.org/en/)

Régulièrement, nous recevons à Namur la visite de nos cousines, présentes aux quatre coins du monde !  C’est toujours une joie pour nous de découvrir à quel point leur amour pour Sainte Julie est très fort. 

A l’ occasion de leurs 25 ans de vœux, 7 Sœurs de N-D de Coesfeld originaires du Nord de l’Inde sont venues à Namur sur les traces de Julie et Françoise en septembre 2019.
Les 7 SND de Coesfeld découvrent avec joie la bulle de canonisation de Julie promulguée par le pape Paul VI le 22 juin 1969 et conservée dans les Archives Générales.
  • Un Message toujours nouveau

« Quand on réussira à exprimer de façon adéquate et avec beauté le contenu essentiel de l’Evangile, ce message répondra certainement aux demandes les plus profondes des personnes, parce que nous avons tous été créés pour ce que l’Evangile nous propose : l’amitié avec Jésus et l’amour fraternel. » N° 265

  • Avec Marie, Mère de l’évangélisation

Pape François :

Avec l’Esprit-Saint, il y a toujours Marie au milieu du peuple. Elle était avec les disciples pour l’invoquer (Ac.1,14) et elle a ainsi rendu possible l’explosion missionnaire advenue à la Pentecôte. Elle est la Mère de l’Eglise et sans elle nous ne pouvons comprendre pleinement l’esprit de la nouvelle évangélisation. (N° 284)

Voix de Julie :

« Il faut bien rester avec la Sainte Vierge dans le Cénacle, être avec les apôtres, pour y persévérer dans la prière, avec toute la sainte Eglise. (Julie, Lettre 208)

Céramique réalisée par Sœur Albert Goosse.

Maladie et guérison

anglais

« Décidez-vous, ma chère, il vaut mieux se tromper que d’être paralysée. »

Ces paroles sont celles de Julie, femme débordante d’énergie, empêchée de bouger durant les 22 années de sa paralysie.  Jeune fille active à Cuvilly, voyageant, commerçant, réconfortant les malades, prenant la tête de la paroisse, Julie perdit l’usage de ses jambes à l’âge de 31 ans et ne retrouva sa vie active qu’à l’âge de 53 ans.  Pendant les douze années qui lui restèrent à vivre, elle déploya une activité intense, se consacrant pleinement à la réalisation de son apostolat : l’instruction chrétienne des jeunes filles pauvres.  Les longues journées d’inactivité et de peine durant sa paralysie lui apprirent à apprécier la joie de pouvoir s’acquitter des moindres tâches !

Les circonstances de sa paralysie

En 1774, Julie discutait avec son père chez elle, quand une grosse pierre fut lancée à travers la vitre et un coup de feu se fit entendre.

Attentat contre le père de Julie. Dessin de Sr Genevieve du Sacré-Cœur (1878-1941) dans le livre The Charred Wood.

Ni Julie ni son père ne furent atteints, mais cet attentat causa à la jeune fille une frayeur extrême dans cet organisme surmené par le travail, ce fut la cause d’une grave maladie.  En 1782, survint une épidémie que les médecins peu clairvoyants de l’époque croyaient guérir par une saignée aux pieds. Le chirurgien du village soumit Julie à d’abondantes saignées qui, peu à peu, lui enlevèrent l’usage des deux jambes, elle dut s’étendre sur un lit qu’elle ne quittera plus pendant vingt-deux ans.

Importance de la prière durant sa paralysie
Autrefois si active, Julie attendait sur un lit de malade et elle se renforçait dans sa foi passant plusieurs heures par jour en prières.

Dans « Au ciel à pied » (1969), Sœur Mary Linscott écrit : « Julie concevait la prière comme la force essentielle qui portait l’âme à Dieu et lui permettait ensuite de se déverser au service d’autrui » .

« Julie dit à Sœur Stéphanie Warnier qu’au cours des huit premières années de sa paralysie, elle n’avait jamais connu ni l’isolement ni la lassitude, parce qu’elle était remplie de la présence de Dieu et soutenue par la force et la joie d’une oraison dont les effets étaient presque tangibles.  C’est durant ses années de paralysie que Julie prit conscience du paradoxe divin de l’action accomplie dans l’inaction.  Julie était énergique de nature ; elle accepta cependant de ne plus pouvoir marcher parce qu’elle y voyait la volonté de Dieu.  Physiquement inactive, sans projets pour l’avenir, Julie apprit à l’école de la douleur et du silence les leçons qu’elle enseignerait un jour avec toute la force d’une santé retrouvée.  Lorsque, à l’âge de 53 ans, elle reprit sa vie active, elle apprécia pleinement le paradoxe des choses faibles de ce monde dont la providence de Dieu se sert pour réaliser de grandes œuvres.  Sa joie et sa confiance en Dieu ne faiblirent jamais. »

Les circonstances de sa guérison

Guérison de Julie. Dessin de Sr Genevieve du Sacré-Cœur (1878-1941) dans le livre The Charred Wood.

Le 2 février 1804, Julie fonda avec Françoise Blin de Bourdon la congrégation des Sœurs de Notre-Dame.  Toujours paralysée des jambes, Julie éprouva des difficultés dans la réalisation de son apostolat.  Un beau matin, le Père Enfantin, Père de la Foi, lui proposa une neuvaine au Sacré-Cœur, sans lui en faire connaître le motif.  Julie accepta et, le 1er juin 1804, elle guérit miraculeusement.

Quatre pages des Mémoires de Françoise relatant la guérison de Julie. L’original des Mémoires est conservé aux Archives Générales à Namur.

Voici ce que dit Françoise dans ses Mémoires à propos de la guérison de son amie Julie:

Un de ces messieurs (Le Père Enfantin, Père de la Foi) très zélé et plein de foi, eut l’inspiration de faire une neuvaine au Cœur de Jésus pour obtenir la guérison de notre Mère.  Il lui dit, lorsqu’il l’eut commencée, qu’il faisait une neuvaine pour quelqu’un et qu’elle s’unisse à lui ; ce qu’elle fit sans plus d’explication.

Le 8 juin, le vendredi de la fête du Cœur de Jésus [En réalité, la guérison eut lieu le 1er juin et non le 8 comme le mentionne Mère Saint-Joseph] , la neuvaine étant à son cinquième jour, il vint à la maison, le soir, après le souper, on voyait encore clair ; notre Mère était seule au jardin, à prendre l’air, sur une chaise.  Il fut vers elle et lui dit :

  • Si vous avez la foi, faites un pas en l’honneur du Cœur de Jésus.

Elle se lève et avance un pied devant l’autre ; ce qu’elle n’avait pas fait depuis vingt-deux ans.

  • Faites encore un, lui dit-il.  Elle le fit.
  • Encore un.  L’effet suivit le commandement.
  • C’est bien, continue le bon Père, asseyez-vous !

Désormais, Julie pouvait participer à la grande mission prêchée à Amiens par les Pères de la Foi puis elle les accompagna à Saint-Valéry-sur-Somme et à Abbeville où elle évangélisa la population. 

Dans « Au ciel à pied », Sœur Mary Linscott nous parle de cette guérison :

« Une intervention chirurgicale fait à la légère avait tellement abîmé un os de son pied que le médecin à qui l’on avait demandé de vérifier ses reliques, lors de l’exhumation de 1888, hésita à l’authentifier.  Il affirmait qu’une personne ayant un os aussi déformé ne pouvait jamais avoir marché.  Julie savait qu’elle marchait grâce à un miracle.  En 1804, elle avait fait ses premiers pas après 23 ans d’impuissance, en obéissant à un ordre : « Si vous avez la foi, faites un pas en l’honneur du Sacré-Cœur ».  Pour lui rendre la faculté de marcher, la maladresse du chirurgien avait-elle été réparée ou la guérison s’était-elle simplement opérée en dépit de cette erreur ?  Julie ne s’était jamais posé la question.  Il lui suffisait de savoir que Dieu lui avait rendu sa santé et son énergie.  Son unique ambition était de les employer toutes deux pour sa gloire. »

A propos de l’influence des Pères de la Foi

C’est grâce à un Père de la Foi bienveillant, le Père Enfantin, que Julie retrouva l’usage de ses jambes et put démarrer sa vocation apostolique.

En 1799, une nouvelle société appelée les « Pères de la Foi » se formait dans l’esprit de la Compagnie de Jésus (supprimée en 1773).  Bien que Julie ne mentionne pas clairement l’inspiration ignatienne de son œuvre, celle-ci est évidente.  Les Pères de la Foi ont été présents à des moments importants de la fondation de la congrégation comme lors de sa guérison.  Parmi eux, on peut citer le Père Enfantin qui invita Julie à se mettre debout au cours d’une neuvaine au Sacré-Cœur mais aussi le Père Thomas qui disait la messe dans la chambre de Julie à l’hôtel Blin et se réfugia à Bettencourt avec Julie et Françoise, le Père Varin qui invita Julie à travailler à la gloire de Dieu et offrit une première règle à la communauté ou encore le Père Leblanc qui accompagna Julie en Flandre où elle fondera plusieurs écoles.  Le 15 octobre 1805, Julie prit d’ailleurs le nom de sœur Saint-Ignace. 

A propos de sa dévotion au Sacré-Cœur

Ce n’est pas pour rien que sa guérison miraculeuse s’opéra au nom du Sacré-Cœur.  Julie avait grandi avec un attachement personnel très fort à la dévotion au Sacré-Cœur.  Elle la répandit à Cuvilly, l’introduisit en Belgique et la laissa en héritage à la congrégation.

Comme nous l’avons déjà mentionné dans le thème du mois de mars, Julie avait une dévotion au Sacré-Cœur comme les autres membres de sa famille.  Dans sa déposition juridique faite à Beauvais en 1882, Madame Victoire Berthelot (petite-nièce de Julie Billiart) atteste que le culte du Sacré-Cœur se transmettait comme un héritage : « Ma Mère nous disait : Je prie le Sacré-Cœur, mes enfants.  Conservez cette dévotion : c’est une dévotion de famille. ».

Confrérie du Sacré-Cœur de Jésus établie à Cuvilly. Liste écrite de la main de l’abbé Dangicourt retrouvée dans un manuel de prières. Le dixième nom de la première liste est celui de Julie Billiart, suivi un peu plus bas de ceux de sa sœur Marie-Madeleine, de son frère Louis-François et de plusieurs personnes de leur parenté. Le document original a disparu mais fort heureusement cette liste est reproduite dans Father J. Clare, The life of Julie Billiart, Sands and Company, 1909.

Importance de la marche durant les douze dernières années de sa vie.

Après 22 ans de paralysie, Julie n’avait jamais pu espérer marcher encore.  En l’espace de dix années, elle entreprit de nombreux voyages en diligence, à dos d’âne ou même souvent à pied en vue d’établir des écoles pour les jeunes filles pauvres.  Alors qu’elle accordait la plus grande importance à la prière, Julie passa les dernières années de sa vie sur les routes, happée par l’action. 

Dans les Archives Générales de Namur, se trouve un petit billet sur lequel Françoise compte les déplacements de Julie : 120 voyages en dix ans ! 

Billet autographe de Françoise

Selon une étude de Sœur Mary Hayes, Julie aurait fait en réalité 119 voyages.  Mais si l’on tient compte des nombreuses fois où Julie a détourné ses voyages pour couvrir un large éventail de préoccupations, Sœur Mary Hayes estime que les voyages de Julie pourraient atteindre 378.

Julie fonda les premières écoles à Amiens, Saint-Nicolas, Namur, Montdidier, Rubempré et Jumet sans avoir besoin de traverser des frontières puisque la Belgique n’existait pas encore.  Si à Amiens on acceptait mal les voyages de Julie, il n’en était pas de même à Namur où elle était soutenue par Mgr Pisani favorable à toutes ses démarches de fondations.  Elle parcourut des kilomètres pour assurer une maison accueillante aux sœurs et à leurs élèves.  En 1809, elle était à Saint-Hubert ; en 1810, c’était la fondation du Nouveau Bois à Gand et, en 1811, l’installation à Zele.  Malgré la guerre durant les dernières années du régime napoléonien, Julie poursuivit encore son œuvre d’éducation en ouvrant des écoles à Andenne, Gembloux et Fleurus.

Sur la carte, les fondations de Mère Julie :
  1.  Saint Nicolas (1806)
  2. Montdidier (1807)
  3. Namur (1807)
  4. Jumet (1808)
  5. Rubempré (1808)
  6. Saint Hubert (1809)
  7. Ghent (1810)
  8. Zele (1811)
  9. Raineville (1812)
  10. Andenne (1813)
  11. Gembloux (1813)
  12. Fleurus (1814)

Sa force d’âme

Comment Julie, jeune fille si active durant sa jeunesse, n’épargnant pas sa peine pour aider ses parents, a-t-elle pu trouver la force durant ses longues années de maladie ?  Parmi les caractéristiques les plus frappantes de Julie, les contemporaines relevaient en particulier sa grandeur d’âme et son courage.  Frappée par de multiples épreuves, dont la maladie, elle ne se laissa pas abattre.  Elle plaçait, au contraire, sa confiance en Dieu, dont « la volonté s’exprime en toutes choses ».  Elle faisait preuve d’un courage, d’une lucidité et d’un sens de l’humour qui marquaient ceux et celles qui la côtoyaient.

Sœur Mary Linscott nous parle de cette force d’âme dont Julie faisait preuve :

« La force d’âme est la qualité qui unit l’esprit d’entreprise, le courage, la vigueur et l’énergie.  D’un point de vue positif, elle apporte la confiance, la puissance d’agir, la réussite et des désirs illimités ; d’un point négatif, elle engendre le refus de céder, l’endurance, la persévérance et la patience. »

Sainte Julie écrivait : « Plus que jamais, je sens la nécessité des âmes fortes, généreuses, courageuses, des âmes mâles, en un mot, qui ne craignent rien, rien sur la terre que le péché, que déplaire au bon Dieu…  Allons, courage ! Courage ! mais un courage mâle ; ma chère sœur, ne vous laissez jamais décourager par aucune difficulté…  Il nous faut, pour notre vocation, des âmes apostoliques courageuses qui n’ont pas peur des difficultés et qui se donnent à Dieu sans réserve…  Si nous n’avons qu’une vertu médiocre, notre œuvre ne durera pas ; elle a besoin d’âmes d’acier pour tenir bon dans le siècle où nous vivons. »

Sainte Julie et Françoise, Sœurs de Notre-Dame, deux amies et éducatrices

English

Françoise Blin de Bourdon (Mère Saint-Joseph de 1816 à 1838)

Voici l’histoire d’une grande amie de Julie Billiart, Françoise Blin de Bourdon, sans qui la congrégation n’aurait jamais vu le jour !

Un des dons que la congrégation considère comme le plus précieux est le fait qu’elle soit née d’une profonde amitié entre deux femmes.  C’est une de ces amitiés qui peuvent figurer parmi les grandes amitiés dans la vie religieuse. 

Françoise possédait une immense capacité d’amitié.  Nous allons surtout parler de celle qui l’unissait à Julie.

L’histoire de 22 ans d’amitié entre Julie et Françoise (entre 1794 et 1816)

Nées au milieu du 18ème siècle (Julie en 1751 et Françoise en 1756), dans le Nord de la France, dans des milieux fort différents, les 40 premières années de leur vie ne se ressemblent pas par les circonstances extérieures, mais offrent de grandes similitudes au niveau de leur engagement envers le Seigneur.  Elles avaient une vie intérieure très riche.  Julie meurt en 1816, après 22 ans d’amitié et de travail commun.

La congrégation des Sœurs de Notre-Dame de Namur est fondée sur une amitié IMPRÉVISIBLE entre deux femmes françaises très DIFFÉRENTES [Julie et Françoise étaient différentes en caractère : la première joviale, extravertie ; l’autre plus discrète ; elles étaient aussi différentes de par leur origine et leur éducation : l’une est d’un milieu modeste et a été à l’école du village et l’autre est de la haute noblesse aristocratique avec une bonne éducation.  Pourtant nous verrons que Julie et Françoise se ressemblent par la manière de vivre pour le Seigneur].

1. Vie de Françoise Blin de Bourdon avant sa rencontre avec Julie

En quatre mots : Aristocratie, bonne éducation, châtelaine et carmel

  • Aristocratie : Une naissance noble dans une famille aisée, fruit de l’union entre les Blin de Bourdon et les Fouquesolles

La famille de Françoise était l’une des plus anciennes de Picardie, dans le Nord de la France.  Son histoire remonte au onzième siècle.  Au Moyen-âge il y avait un dicton à propos de son nom.  Quand quelque chose était bon, les gens disaient que c’était “bon comme un Blin.”

Portrait de Françoise Blin de Bourdon, demoiselle de Gézaincourt.

Lorsque ses parents se marient en 1748, son père, Pierre-Louis Blin de Bourdon avait 42 ans et sa mère, Marie-Louise-Claudine de Fouquesolles en avait 17.  Née le 8 mars 1756, et précédée par un frère Louis-Marie-César et une sœur Marie-Louise-Aimée, elle était la troisième et dernière enfant. Baptisée le lendemain de sa naissance, en la fête de Ste Françoise Romaine. Agée seulement de 25 ans et avec deux autres enfants de deux et trois ans, la maman de Françoise fut encouragée à laisser le nouveau-né au manoir de ses parents à Gézaincourt, une vaste et belle maison de campagne avec des jardins (30 km d’Amiens). A part quelques séjours à Bourdon où ses parents possèdent le château, elle passe son enfance à Gézaincourt, chez ses grands-parents maternels, le baron et la baronne de Fouquesolles.  La grand-mère de Françoise, avec l’assistance d’une gouvernante, Mademoiselle Ursule, introduisit la jeune enfant dans ses premières expériences d’éducation, à la fois religieuses et laïques.  Françoise est élevée dans l’amour.  Elle était une petite fille obstinée et têtue.

  • Education raffinée :

A l’âge de 6 ans, Françoise devint pensionnaire chez les Bénédictines à Doullens.  C’est là qu’elle reçut la confirmation à l’âge de 8 ans.  En 1768, elle fut envoyée pour deux ou trois ans chez les Ursulines à Amiens pour parfaire son éducation.  A l’âge de dix-neuf ans, pour préparer ses débuts dans la société française, elle fréquente les salons de Paris et est présentée à la Cour de Versailles.  Elle fut une amie de la sœur du roi Louis XVI, Madame Elisabeth.

Illustration T.J. Bond dans Mother St. Joseph by SND, Sands and Co, Glasgow, 1964.

Françoise a 25 ans quand sa sœur et son frère se marient.  A l’âge de 25 ans, elle est maintenant seule avec ses parents à Bourdon.  C’est une souffrance pour elle car elle s’entendait bien avec son frère qui était un véritable ami et confident.  Celui-ci s’établit à Amiens où il achète un hôtel rue des Augustins.

Trois ans plus tard, elle a 28 ans : son grand-père maternel et sa mère décèdent (son grand-père le 24 février 1784 et sa mère le 2 avril).  Sa mère avait 53 ans ; elle est morte 10 mois après un accident de voiture.

Françoise a beaucoup souffert de ses disparitions.

  • Châtelaine et Carmel :

Françoise ne reste pas longtemps avec son père car son devoir l’appelle à Gézaincourt.  Elle doit aider sa grand-mère et assumer ses devoirs de châtelaine du vaste domaine. Elle fait le don d’elle-même à sa grand-mère, aux villageois, elle devient distributrice des aumônes aux plus pauvres.  Là, elle administre le domaine et ses vastes dépendances. Elle visite aussi les malades et les soigne au moyen de plantes médicinales qu’elle cultive; les villageois demandent volontiers conseil à la « bonne demoiselle ». Le curé de la paroisse affirma plus tard que Françoise allait chaque jour à la messe, priait longuement et communiait souvent. [Françoise sans le savoir se préparait à gérer la future congrégation, à devenir bonne gestionnaire afin de prendre les bonnes décisions pour accroître l’Institut  – cfr. Mémoire de Cécile Dupont en vue de l’obtention d’un master en histoire : Les SND de Namur, entrepreneures de l’éducation (1804-1842), Louvain-la-Neuve, 2014].
On a trouvé dans ses écrits des notes qui montrent un engagement très profond envers Dieu.  Dans ses notes personnelles, elle avait écrit, en 1783, « demi-conversion, lumière imparfaite » et, en 1785 (à 29 ans), « Conversion entière. Résolution invariable d’écarter tout ce qui m’éloignerait de ma fin ». Elle souhaitait entrer au Carmel.

En 1789, la Révolution éclate.  Françoise, à cause de son origine sociale, souffrira terriblement de la Révolution française.

Illustration T.J. Bond dans Mother St. Joseph by SND, Sands and Co, Glasgow, 1964.

En 1793, les membres de la famille Blin de Bourdon (le père –âgé de plus de 80 ans-et le frère de Françoise), dont certains sont accusés à tort d’avoir fui le pays, sont emprisonnés.  En février 1794, Françoise est arrêtée, à la place de sa grand-mère –qui meurt le 18 mars-, et conduite à la prison d’Amiens.  Vu l’encombrement des maisons d’arrêt, on propose aux prisonnières d’être transférées chez les Carmélites, retenues captives dans leur monastère.  Seule Françoise accepte. [Françoise ne les rencontrera pas mais elle dit les entendre prier].  Ce n’est qu’après la mort de Robespierre qu’ils seront tous libérés les 3 et 4 août 1794 ; Françoise rejoint alors son frère à l’hôtel Blin, à Amiens. Le Vicomte part pour Bourdon ; Françoise reste un an à Amiens.
C’est là qu’elle va rencontrer Julie.
Quelques mots sur la vie de Julie :
Julie, quant à elle, souffre terriblement de la Révolution française à cause de sa fidélité à l’église et sa grande foi. Contrainte de fuir son village qu’elle n’avait jamais quitté.  A 40 ans, paralysée, ayant perdu l’usage de la parole, ayant connu plusieurs domiciles à Gournay-sur-Aronde et à Compiègne, elle fut recueilli en octobre 1794 par une aristocrate connue à Cuvilly, la comtesse Baudoin. 

2. La rencontre

Peu de temps après l’arrivée de Julie à l’hôtel Blin (cfr. thème du mois d’avril), Madame Baudoin propose à Françoise de rencontrer Julie.  Françoise qui n’avait pas trop d’occupation accepte.

Bande dessinée de Julie Billiart, éditions du Signe, 2000.

Françoise devait écrire plus tard dans ses Mémoires au sujet de leur rencontre :

« Cette demoiselle (Françoise), qui n’avait pas bcp d’occupations, voulut bien faire connaissance avec la malade ; mais, ne pouvant pas entendre le langage de l’infirme, il semble que ces visites ne devaient pas avoir bcp de charme pour elle… Cette demoiselle finit, contre toute apparence de raison naturelle, à s’y attacher au point que l’on verra par la suite. »

Julie s’attache tout de suite à Françoise.  Elle l’avait déjà vue dans une vision (voir le thème du mois de mai) et la reconnaît. 

Au début, la rencontre entre Julie (43 ans) et Françoise (38 ans) est difficile ; Julie a de la peine à s’exprimer et Françoise ne la comprend pas.

C’est intéressant de voir que c’est Françoise qui se met au service de Julie.  Elle décide d’accomplir une œuvre de charité, un travail de compassion.  Selon Saint François de Sales, l’amitié n’est pas seulement un sentiment mais un effort résolu qui suit une décision.  Ce qui commence par un travail de compassion se transforma en l’un des plus beaux exemples d’amitié spirituelle entre deux femmes. 

Un des fondements de l’amitié est qu’elle croit avec le temps.  Très vite, donc, des liens d’affection se tissent entre les deux femmes.  Les visites deviennent de plus en plus fréquentes.  Toutes les deux avaient des affinités pour les choses spirituelles.

3. Dans la relation d’amitié entre Julie et Françoise, on peut voir 3 étapes. 

La première étape se situe entre 1794 et 1799.

L’amitié commence

  • avec une ressemblance entre les personnes (Les deux femmes avaient été mises à l’épreuve de la SOUFFRANCE aux moments cruciaux de la Révolution française – Julie paralysée et Françoise éprouvée par la mort de sa mère et de ses grands-parents et par une période de terrible emprisonnement.  Toutes deux étaient sorties de leurs épreuves avec une FOI RENFORCÉE et un engagement plus profond). 
    L’amitié entre Julie et Françoise est la seule vraie amitié comme le disaient les Anciens : celle basée sur le bien. Julie et Françoise se ressemblent dans cette vertu. Et il y a RÉCIPROCITÉ dans la reconnaissance mutuelle de la VERTU propre à chacune est évidente.  Il y a mutuelle bienveillance qui s’exprime par le fait de désirer l’amour de Dieu l’une pour l’autre.  C’est une « Amitié affectueuse centrée sur Jésus ».  Nous pouvons dire que dès le début l’amitié ente Julie et Françoise était d’ordre spirituel. 
    Saint Augustin écrit qu’il éprouverait le besoin d’approcher et de connaître une personne dont l’amour pour le Christ s’était prouvé face à l’épreuve ou la persécution, et de se lier d’amitié avec elle.  Tel était le cas pour Julie et Françoise dont l’amour pour le Christ s’était prouvé avant leur rencontre.

Bientôt, se forme autour de Julie une association pieuse. En plus de Françoise, les filles de Madame Baudoin invitent leurs amies, les demoiselles de Méry et Doria.  L’abbé Thomas, caché à l’hôtel Blin, anime le groupe et célèbre l’eucharistie.  Des enfants sont baptisés et confirmés dans la chambre de Julie.  Mais cette société n’eut qu’une existence éphémère.  Françoise restera la seule compagne de Julie.

Françoise reste un an à Amiens.

Entre 1795 et 1797, Françoise séjourne à Gézaincourt et à Bourdon près de son père malade.  Pendant ces deux années de séparation, Françoise et Julie s’écrivent de nombreuses lettres.  Françoise rentre à Amiens après le décès de son père.

On a conservé les lettres de Julie à Françoise : 33 lettres où l’on peut découvrir l’affection qu’elles se portaient.  Elles communiquaient leur amitié.  Et comme disait Saint François de Sales : le manque de communication (union des cœurs) peut mettre fin à l’amitié.

  • Julie devient vite la « Mère » dans leur correspondance.  Alors que Françoise est la personne dotée d’un statut social et la première à avoir offert son soutien, c’est Julie qui est devenue la directrice spirituelle en qui l’on a toute confiance. 

Après la mort de son père, Françoise était libre de se consacrer à Dieu comme elle le souhaitait.  Mais, elle avait des doutes quant à la forme du projet : elle hésitait à devenir Carmélite.  C’est alors que Julie lui fait part de ce qu’elle avait vu au cours d’une vision qu’elle avait eue quand elle se cachait à Compiègne : des femmes religieuses et parmi elles se trouvaient le visage de Françoise que Julie ne connaissait pas encore.  Françoise retourne confiante à Amiens.

Fin 1797, une nouvelle « Terreur » éclate. L’abbé Thomas, poursuivi jusque dans l’hôtel Blin, échappe à ses agresseurs le 15 juin 1799.  Le lendemain, le Père Thomas, Françoise, Julie et sa nièce Félicité se réfugient à Bettencourt.  Ensemble, ils évangélisent le village.  La santé de Julie s’améliore et elle commence à parler. 

Dans toute amitié, il y a une deuxième et une troisième phase :

  • Entre 1799 et 1803 (c’est la deuxième étape de leur relation d’amitié) : Période heureuse où elles vivent ensemble à Bettencourt  – les amies se communiquent leur vie intérieure et participent chacune aux qualités de l’autre.
    Importance de la communication : cfr Aristote : « Si des amis ne se pouvaient pas être présents l’un à l’autre et s’ils ne pouvaient pas communiquer entre eux, l’amitié finirait par mourir. »  L’amitié se travaille, prend du temps.

    Commence le temps de ce que Saint François de Sales appelait, « le doux combat » de l’amitié.  L’amitié nécessite de la franchise ; les malentendus sont inévitables (et il y en aura entre Julie et Françoise, notamment à cause de la distance entre elles et de leur échange de lettres quand l’une sera à Amiens et l’autre à Namur)

    L’amitié est renforcée par les nombreuses difficultés partagées, patience témoignée, tendresse, considération, partage des fardeaux.

    Le changement visible de la relation entre Julie et Françoise : de directrice et dirigée, elles passent à une égalité mutuellement reconnue.

En février 1803, le Père Thomas, Julie et Françoise rentrent à Amiens. Les deux amies accueillent des petites orphelines dans une maison modeste, rue Neuve.

– La troisième et dernière étape dans le développement de l’amitié véritable est sa perfection : l’union dans la diversité.  A ce stade, les amies se partagent leurs qualités les plus intimes, se communiquent chacun des aspects d’elles-mêmes, devenant un seul cœur, une seule âme.

Comme disait Aristote : « Une seule âme dans deux corps. »
Les témoignages abondent à propos de l’union évidente de Julie et Françoise qui étaient en harmonie totale malgré des différences frappantes de tempérament (cfr Mémoires Blin) : « La Mère Julie, par son humilité et par cette prudence chrétienne qui ne veut pas que l’on s’appuie sur soi-même, la consultait presque en toute chose.  Elle la regardait comme sa coopératrice et son amie et elles étaient très unies de cœur et d’esprit. »  « Le caractère de la Mère Blin était différent de celui de la Mère Julie mais comme elles étaient très unies, il n’y avait aucune diversité d’opinion. » Julie était plutôt extravertie, prompte à passer à l’action ; Françoise était réservée, introvertie.

Le 2 février 1804, Julie, Françoise et Catherine Duchâtel (qui décédera quelques mois plus tard) font leur vœu de chasteté et s’engagent à consacrer leur vie à l’éducation chrétienne. Elles prennent le nom de Sœurs de Notre-Dame et reçoivent une règle du Père Varin.  Françoise, comme il était de coutume à l’époque, prend le nom de Sœur Saint-Joseph.

Le 15 octobre 1805, Julie, Françoise, Victoire Leleu et Justine Garson prononcent leurs vœux de religion.  Le lendemain, Mère Julie est élue supérieure générale.  Le 19 juin 1806, les statuts de l’Association dite de Notre-Dame sont approuvés par Napoléon.  L’ouverture d’écoles gratuites est autorisée.  Françoise apporte sa richesse à la congrégation.

Un conflit éclate à Amiens avec le supérieur de la congrégation, l’abbé de Sambucy.  Il exige également de Sœur Saint-Joseph qu’elle lègue toute sa fortune à la seule maison d’Amiens.  Les deux fondatrices refusent ces propositions.  L’abbé de Sambucy influence habilement l’évêque d’Amiens, Mgr Demandolx et parvient à obliger Julie à quitter le diocèse le 12 janvier 1809.

Illustration T.J. Bond dans Mother St. Joseph by SND, Sands and Co, Glasgow, 1964.

Durant ce conflit, Françoise témoigne une grande amitié à Julie (partage des fardeaux).

Les premières Sœurs de Notre-Dame s’établissent à Namur, le 7 juillet 1807, à la demande de Mgr Pisani de la Gaude.  L’évêque de Namur les accueille avec grande sympathie et leur offre une maison près de l’évêché.  Sœur St-Joseph est nommée supérieure de la communauté.  Grâce à la fortune de Françoise, les Sœurs achètent une maison plus grande, rue des fossés (l’actuelle maison mère). Namur devient la maison mère des SND.  De nombreuses écoles sont fondées.

4. Après la mort de Julie [Après 22 ans d’amitié, Françoise vivra encore 22 ans sans Julie]

En 1816, après la mort de Mère Julie, Mère Saint-Joseph est élue supérieure générale et le restera jusqu’à la fin de sa vie.  Elle continue fidèlement l’œuvre de son amie ; elle rédige la règle, achève les fondations à Liège et à Dinant, crée celles de Thuin, de Verviers, de Philippeville et de Bastogne.

Son grand souci sera de garder l’unité de la congrégation sous le régime hollandais entre 1815 et 1830.  En interdisant à toute autorité étrangère d’enseigner, Guillaume Ier cause beaucoup de souci à Mère Saint-Joseph. 

  • Le Roi Guillaume fixe le nombre de sœurs autorisées dans chaque maison. 
  • Les Sœurs sont obligées de passer un examen devant la commission d’instruction.
  • Françoise veut démissionner comme supérieure générale en faveur d’une sœur d’origine flamande pour le bien de la congrégation.
    Finalement, en décembre 1824, elle reçoit le document de naturalisation et devient citoyenne des Pays-Bas.
    [Après lui avoir causé tant de souci, le Roi Guillaume Ier vient à Namur en 1829, il visite l’école et part en lui disant : « Madame, une femme comme vous ne devrait jamais mourir ! » (cfr. les annales de la congrégation)]
  • Entretemps, Mère Saint-Joseph avaient accepté la prise en charge d’hospices puisque les écoles n’étaient plus viables.
Mère Saint-Joseph et le Roi Guillaume Ier, illustré par T.J. Bond dans Mother St. Joseph by SND, Sands and Co, Glasgow, 1964.

En 1835, malgré l’opposition de certaines sœurs, elle conserve intact l’esprit de l’Institut.  C’est ce qu’on appelle la grande épreuve : une épreuve douloureuse qui venait de ses propres filles et qui a mis en danger l’existence de l’Institut.  Une religieuse a comploté la Réforme de la congrégation des SND (18 sœurs étaient dans le secret dont la maîtresse des novices).  Leur intention était d’établir deux catégories de membres (converses pour les travaux domestiques et de chœur pour l’enseignement).  Le but de cette nouvelle organisation était d’éduquer au pensionnat les jeunes filles de la haute société. 

Ce projet visait directement deux des trois points essentiels/fondamentaux de l’Institut :

– égalité entre les sœurs

– dévouement à l’instruction des pauvres

La conservation du gouvernement général avait déjà valu à Julie l’expulsion d’Amiens.

Avec l’aide de Sr Ignace Goethals, Mère Saint-Joseph sortit triomphante de la lutte mais au prix de grandes souffrances.  Trois sœurs quittèrent l’Institut ; les autres reconnurent leurs fautes et après une réparation publique, furent réadmises.

Françoise meurt à Namur, à l’âge de 82 ans (le 9 février 1838). 

5. Conclusion

Ce qui nous touche particulièrement chez Françoise, c’est le contraste entre cette femme de la noblesse qui tentait de vivre simplement [dans la congrégation, il n’y avait pas de distinction entre les sœurs converses et les sœurs de chœur).  Et ce n’était pas facile pour elle et pour sa famille.  A Amiens, quand elle allait en ville habillée avec le costume religieux, cela causait de l’embarras, de la gêne à sa famille.  Françoise était issue de la haute noblesse aristocratique mais elle n’a jamais utilisé sa fortune pour exercer une certaine influence, un pouvoir sur la vie des autres.  Comme l’explique Sœur Jo Ann Recker, son véritable pouvoir d’influence résidait plutôt dans son aptitude à transformer la vie des autres par l’amitié.  Et Françoise possédait une immense capacité d’amitié.  Elle avait cette aptitude unique à l’oubli de soi et au sincère souci du bien de l’autre : depuis sa grand-mère qu’elle aimait tant, son amie d’enfance (Jeanne de Franssu avec qui elle garda des liens jusqu’à sa mort), son amie Julie Billiart et sa chère Sœur en religion Sr Anastasie Leleu.  Elle était capable de voir le plus grand bien dans chaque personne qu’elle rencontrait.

Dieu attira Julie et Françoise ensemble pour quelque chose de spécial.  Il les amena à l’unité dans la diversité pour rendre possible le développement de l’Institut.

Que cet exemple d’amitié entre deux femmes puisse être source d’inspiration pour vous !

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Jo Ann RECKER (SNDdeN), PWPT « A treasure beyond price », FVP, 2016.

Jo Ann RECKER (SNDdeN), Julie, Françoise et notre héritage d’une amitié, Un trésor qui n’a pas de prix, Session Renouveau Julie, 1997.

Jo Ann RECKER (SNDdeN), Françoise Blin de Bourdon, Une femme d’influence, L’histoire de la co-fondatrice des SND de Namur, 2001.

Jo Ann RECKER (SNDdeN), “Très affectueusement, votre mère en Dieu”, Françoise Blin de Bourdon, French Aristocrat, Belgian Citizen, Co-Foundress of the SND de Namur (1756-1838), 2001.

Marie-Francine Vanderperre (SNDdeN), Julie et Françoise, 3 novembre 2008.

LAWLER, Magdalen (SNDdeN), Pistes pour redécouvrir la bonté de Dieu, 2004, pg 22.

POOLE, Myra (SNDdeN), Prayer, protest, power, 2001, pg 52-69.

Quelles sont les sources pour connaître cette amitié ?

  1. Mémoires de Mère St-Joseph
  2. Les premières lettres de Julie et les lettres en dialogue
  3. Témoignages de Sœurs les ayant connues

SIMPLICITE

anglais

La SIMPLICITE nous parle à nous, Sœurs de Notre Dame de Namur.

La simplicité, Julie, jeune fille de Cuvilly, ne l’a-t-elle pas vécue en tant que simple paysanne de Picardie avant de nous en parler ?

Julie parmi les moissonneurs, dessin de Sr Callista McEechan.

Julie choisit de beaux symboles de la nature comme le tournesol qu’elle admirait dans les champs autour d’elle ou le cristal qu’elle utilise également pour exprimer comment elle comprenait cette caractéristique qu’elle souhaitait pour chaque sœur.

« Celles qui ne sont pas simples ne sont ni les enfants de Dieu, ni les miens » Julie Billiart

« La simplicité est comme un cristal très pur que le soleil de Justice pénètre, éclaire et réchauffe », Julie Billiart

Sœur Mary Linscott développe l’idée :

« L’analogie du rayon de soleil brillant à travers le cristal suggère la pénétration complète et l’irradiation par lesquelles Dieu influe sur l’homme à travers la simplicité, en même temps que la transparence qui est la disposition humaine donnée en retour…

La simplicité de la lumière blanche ne signifie pas un manque de couleur, mais la potentialité de toute la gamme de couleurs non réalisée aussi longtemps qu’il n’y a pas d’objet pour réfracter son éclat »

Mary Linscott, toute imprégnée de l’esprit de Teilhard de Chardin, le cite :

« Jusqu’ici adorer a signifié préférer Dieu aux choses en les référant à Lui. Maintenant adorer signifie abandonner notre âme et notre corps à l’action créatrice. ..Unir cette activité à la sienne et conduire le monde à son accomplissement. » (Christologie et évolution)

« La simplicité impliquait Julie dans les problèmes de son temps. En effet, il lui était difficile de concevoir un christianisme se tenant à l’écart des tourments de la vie. »

Quel est le tourment actuel exprimé avec force notamment par la jeunesse du monde entier et répercuté dans l’encyclique du Pape Laudato Si ?

N’est-ce pas justement : l’urgence d’une conversion écologique à tous les niveaux ?

Référons-nous à un passage ou l’autre du Laudato Si à lire et surtout à chercher à appliquer dans notre vie avec notre charisme particulier de la simplicité.

«N° 222 : La spiritualité chrétienne propose une autre manière de comprendre la qualité de vie et encourage un style de vie prophétique et contemplatif ,capable d’aider à apprécier profondément les choses sans être obsédé par la consommation. …La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété…C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie nous offre. »

Autre exemple N°227 : « S’arrêter pour rendre grâce à Dieu avant et après le repas est une expression de cette attitude. Je propose aux croyants de renouer avec cette belle habitude et de la vivre en profondeur. Ce moment de bénédiction, bien qu’il soit très bref, nous rappelle notre dépendance de Dieu pour la vie, il fortifie notre sentiment de gratitude pour les dons de la création, reconnaît ceux qui par leur travail fournissent ces biens, et renforce la solidarité avec ceux qui sont le plus dans le besoin. » Pape François dans Laudato Si

Sœur Mary Linscott de continuer :

« C’est l’Esprit, planant sur les eaux qui donna vie à la création et qui, en couvrant Marie de son ombre réalisa l’incarnation. Son action transforme l’âme et l’amène à la vie de mysticisme actif et pratique que Julie décrit. C’est pourquoi elle recommande souvent son œuvre à l’Esprit, elle presse les sœurs de l’invoquer, de laisser sa lumière les envahir, illuminer leur travail. »

Les Sœurs de Notre-Dame participent activement à la conversion écologique.

N’est-ce pas, ouvertes à l’Esprit, que nos chapitres généraux successifs ont pris au sérieux ce tourment actuel de notre monde ?  Dans l’article 65 de nos Constitutions, nous lisons « Sachant que Dieu a créé toute chose bonne, nous lui sommes reconnaissantes et nous respectons toutes les ressources de la terre. Nous veillons à les utiliser et à les gérer pour améliorer la vie de tous »

En 2014, la Congrégation s’exprima ainsi « Poussée par la crise écologique, nous examinons chaque facette de notre relation avec la communauté de la création. Tous les membres et toutes les Unités de la Congrégation s’engagent à passer à l’action sur cette question brûlante de notre temps »

Que d’actions concrètes sont menées à travers le monde notamment par des Sœurs de Notre Dame, à différents niveaux concernant cette préoccupation majeure dans le souci intégralement conjoint de préserver la terre et par là de sauvegarder l’humanité comme nous le rappelle si clairement le Pape : « L’intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète ; la conviction que tout est lié dans le monde ».

Energies propres, panneaux solaires, assainissement de l’eau, nourriture saine, méthodes respectueuses de la terre…  Une sœur a même donné sa vie dans le martyr pour la cause : pensons à Dorothy Stang défendant la forêt Amazonienne  au Brésil, la lutte continue après elle.

Sister Dorothy Stang, SNDdeN

Plus près de Namur, prenons l’exemple de Jumet en Belgique où le grand parc va permettre la permaculture avec son principe « rien ne se perd tout se transforme ».  Pour en savoir plus sur la reconversion du couvent de Jumet (fondé par sainte Julie en 1808) en une ferme urbaine de permaculture, cliquez ici : http://sndden.be/2018/11/09/ferme-bio-dans-le-couvent-de-jumet/

Photo du parc de Jumet, Belgique

Un autre aspect qui rejoint notre charisme est l’accent mis sur l’éducation.

Le pape François nous le rappelle : « Nous sommes devant un défi éducatif ».

N°213 de l’encyclique Laudota Si : «  Les milieux éducatifs sont divers : l’école, la famille, les moyens de communication, la catéchèse et autres. Une bonne éducation scolaire, dès le plus jeune âge, sème les graines qui peuvent produire des effets tout au long de la vie. »

Julie n’avait-elle pas ce sens éducatif lorsqu’elle dit « Préparons des jeunes filles pour la vie »

Dans les perspectives du projet bio à Jumet nous lisons : « L’éducation constitue l’un des axes principaux du projet. La présence d’une école primaire sur le site est un atout pour sensibiliser les enfants à l’alimentation naturelle. Nous pourrions aussi accueillir des étudiants de toutes disciplines en stage. »

Terminons par le sens que donne si admirablement le pape François à L’Eucharistie :

N° 236 : « Dans l’Eucharistie, la création trouve sa plus grande élévation.  Le Seigneur, au sommet du mystère de l’Incarnation, a voulu rejoindre notre intimité à travers un morceau de matière. Non d’en haut mais de l’intérieur, pour que nous puissions le rencontrer dans notre propre monde… L’Eucharistie est en soi un acte d’amour cosmique. L’Eucharistie est toujours célébrée en un sens, « sur l’autel du monde ». (Cf Teilhard de Chardin cité lui aussi par le Pape François)

Pour en savoir plus :

  • Mary Linscott (SNDde N), Au ciel à pied, 1969 (traduction française, 1990).
  • Mary Linscott (SNDde N), Le 4ème essentiel, 1971.

la persécution contre l’eglise – les carmélites de compiègne guillotinées

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SAINTE JULIE BILLIART ET LA PERSÉCUTION CONTRE L’EGLISE AU MOMENT DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

A Cuvilly, Julie devient un tel exemple de confiance et de fermeté dans la foi que les forces révolutionnaires voient en elle une menace.  En 1791, persécutée à cause de sa prise de position vis-à-vis des “prêtres constitutionnels” (ceux qui ont prêté serment de fidélité à la nation), Julie est contrainte de fuir son village natal et de se cacher d’abord à Gournay-sur-Aronde, à Compiègne et plus tard à Amiens.

Julie est à Compiègne au moment de l’apogée de la politique de déchristianisation (septembre 1793-septembre 1794).  La déchristianisation, pendant la Révolution française, a pour but de supprimer le christianisme de la vie quotidienne en France : prêtres déportés ou assassinés, religieux contraints à abjurer leurs vœux, églises fermées ou transformées en temples de la raison ou de la liberté (comme à Compiègne), croix et images pieuses détruites, fêtes religieuses interdites, agendas supprimés, et interdiction du culte public et privé.

Pour faire face aux nombreux contre-révolutionnaires et monarchistes français, Robespierre met en place des mesures exceptionnelles qui seront appelées plus tard la « Terreur ».  La plus connue est la terrible loi des suspects qui impose de recenser tous ceux qui desservent la cause de la Révolution.  Près de 20 000 personnes, suspectées de sympathie pour la contre-révolution, sont exécutées.  C’est dans ce contexte que seize carmélites de Compiègne sont guillotinées en juillet 1794.

Relations entre Julie et les carmélites de Compiègne

1. Julie vivant à CUVILLY est en contact avec les carmélites de Compiègne

Jeune fille à Cuvilly, Julie connait les carmélites de Compiègne chez qui elle se rend pour leur procurer du linge et des broderies.  Analysons les archives générales de la congrégation à Namur…

Les deux biographies anciennes de Julie écrites par le Père Charles Clair en français (1895) et par Father James Clare en anglais (1909) mentionnent les visites de Julie aux carmélites de Compiègne. 

Le Père Charles Clair se base sur les « souvenirs de ses premières compagnes dont nous gardons les copies dans les archives de Namur:

–  Le 7 octobre 1881, Sr Marie Victoire Carez écrit : « […]  Au plus fort de la Révolution, elle [Julie ] se réfugia à Compiègne ; elle y était regardée comme une sainte.  Elle eut des rapports avec les saintes carmélites, qui moururent sur l’échafaud. […] »

–  Dans sa déposition du 25 janvier 1883 à Chimay, Sr Marie Claudine (dans le monde Julie Godefroit) note : « Elle [Julie] eut des rapports avec les saintes carmélites, qui moururent sur l’échafaud. » 

Quant à Father James Clare, il trouve l’information dans les annales de la congrégation écrite en 1844 par sœur Stéphanie Warnier: « Vers l’âge de 18 ans […].  Elle [Julie] visitait à cette époque les carmélites de Compiègne qui infusèrent en quelque sorte l’amour de Dieu et le zèle du salut des âmes dans son cœur. »

Père Charles Clair et Father James Clare ajoutent des détails intéressants qu’on ne trouve pas dans les sources manuscrites :

–  les raisons des visites de Julie aux religieuses de Compiègne : « ce fut à propos des vêtements sacrés qu’elle avait à broder qu’elle entra en rapport avec les carmélites de cette ville » (Père Clair)

–  le talent de la jeune fille.  « Her skill in church embroidery, to which we have already alluded, took her from time to time to the Carmelite Convent of Compiegne, renowned at that time through all the countryside for tis strict observance and the holy lives of its inmates.  Thus she formed an intimacy with that band of noble women who, a few years later, were one and all to win the martyr’s palm; and the annals of her life note that their saintly conversation fanned to yet brighter flame her ardour in the service of God.  Surely it was not a mere chance, but rather God’s eternal seal upon that friendship, that eight days after the hand of Pius X had placed the coronet of the Blessed on the brows of the Virgin of Cuvilly, it was lifted again to set it on those of the martyrs of Compiègne. » (Father James Clare, pg 20-21)

Voici une autre preuve de la relation entre Julie et les carmélites de Compiègne.

L’abbé A. Odon (curé de Tilloloy) écrit vers 1887 :

« Quand les circonstances le permettaient, c’était pour elle une douce récréation, les dimanches et les jours de fêtes, d’aller visiter les carmélites de Compiègne.  Comme Julie était heureuse de s’entretenir à cœur ouvert, à travers leurs grilles bénies, avec les pieuses filles de Sainte Thérèse ! Quelle joie pour son âme de s’épancher dans ces âmes séraphiques, bien faites pour la comprendre !  Pouvait-elle puiser à meilleure source le désir de la perfection, l’attrait pour la vie religieuse, et cette foi robuste, ce vaillant amour pour Notre-Seigneur, cette ardeur généreuse, cet ardeur […] qui devaient être le caractère distinctif de sa sainteté et marquer d’une empreinte profonde l’œuvre qu’elle était appelée à fonder ? »

2. Julie, réfugiée à COMPIÈGNE, a des liens avec les carmélites par l’intermédiaire de sa nièce et de l’abbé de Lamarche.

Julie est en relation avec les carmélites par sa nièce Félicité qui l’avait accompagnée sur le chemin de l’exil.  On le sait grâce à une lettre écrite par Mère Henriette de Croissy.  Ce billet de la carmélite, écrit entre 1792 et 1794, non signé et non daté, mais reconnu authentique, est intéressant et livre quelques détails sur la vie de Julie : la chambre qu’elle occupera bientôt lui permettra d’accueillir de la visite.  Il nous apprend que Félicité lave le linge des carmélites (ou que les linges de Julie et de Félicité sont lavés chez les carmélites).  Un nom est évoqué par Mère Henriette de Croissy : il s’agit d’une certaine Madame Gabriel chez qui Julie sera transportée.  Elle souffre alors de maux de dents assez violents.

« […]  Félicité vient de venir pour chercher le linge qu’elle croyait ici mais elle n’a pas pu prendre le temps d’aller chez vous, il fallait qu’elle allât chez l’apothicaire.  Julie a bien mal aux dents et c’est demain qu’on la transporte chez Mad. Gabriel, elle n’aurait pu garder le ( ?) estropié sans souffrir de sa grande sensibilité.  Le chirurgien juge qu’il va avoir une fièvre putride, dans sa nouvelle demeure elle pourra être visitée mais elle ne pourra garder personne.  Cet heureux embarras n’est pas fréquent… […] Félicité verra avec plaisir que vous lui envoyez le linge par Thérèse, si cela se peut.

Lettre (entre 1792-1794) de Mère Henriette de Croissy, Carmélite guillotinée à Paris en 1794. Arch. dép. Q, FF1 n°50.  Cliquez pour agrandir l’image.

Julie est également en lien avec les carmélites par l’intermédiaire de l’abbé de Lamarche, prêtre de Compiègne.  Il fait la connaissance de Julie en 1793 alors «qu’il rendait des services de religion» à des personnes pieuses et notamment aux carmélites.  C’est lui qui, déguisé en ouvrier, bénira chacune des carmélites allant à la mort.  Le témoignage laissé par l’abbé de Lamarche exprime son admiration pour la foi et la force d’âme de Julie malgré sa paralysie et les menaces liées à la « Terreur » :

« Ce 2 février 1820.  Ce n’est qu’en 1793 que j’ai commencé à connaitre la Mère Julie.  Elle avait quitté son village de Cuvilly.  On l’avait transportée à la ville de Compiègne comme étant un lieu plus sûr, à cause des troubles dont la France était alors agitée.

J’allais alors rendre des services de religion aux âmes vertueuses qui y demeuraient, spécialement aux carmélites.  La Mère Julie vivait retirée dans une chambre, avec une de ses nièces qui la servait.  J’allais la visiter, elle ne parlait pas, ou plutôt elle ne parlait que par signes.  Pour la confesser, il fallait qu’elle fût avertie au moins une heure d’avance.

Elle s’y préparait avec une ferveur extrême et obtenait, comme elle me l’avoua elle-même, la grâce de s’expliquer clairement.  Ce n’était qu’après avoir reçu les Sacrements qu’elle reprenait son silence.  Il m’a paru que ce n’était pas par effort naturel qu’elle s’expliquait en confession mais qu’elle obtenait cette faveur par l’effet d’une foi vive.  Je l’ai suivie, par intervalles, environ une année ; j’admirais de plus en plus les progrès qu’elle faisait dans la piété.  Elle s’offrait continuellement comme victime à Dieu pour apaiser sa colère.  Sa résignation était parfaite ; toujours calme, toujours unie à Dieu, son oraison était presque continuelle. […] »

Témoignage de Monsieur de Lamarche, prêtre, 2 février 1820.

C’est par le Père de Lamarche que Julie a dû apprendre que les carmélites de Compiègne s’offraient en holocauste pour apaiser la colère de Dieu, pour que la paix soit rendue à l’Eglise et à l’Etat.

Quand les carmélites sont guillotinées à Paris en 1794, Julie est à Compiègne depuis 2 ans.  La nouvelle de leur mort fut sans doute très douloureuse pour Julie.  Comme le dit sr Roseanne Murphy (SNDdeN), « leur mort héroïque fit une profonde impression sur Julie ; elle y fit souvent référence des années après.  Elle souffrit de la perte de ses amies car elles avaient été pour elle un soutien de prières depuis qu’elle était enfant. »

Le martyr des carmélites de Compiègne

Les seize carmélites de Compiègne.

Dans le contexte de déchristianisation, le 14 septembre 1792, les carmélites sont expulsées de leur couvent par les autorités civiles. Elles vivent alors leur vocation dans différentes maisons de Compiègne, où elles sont réparties en quatre groupes. Elles prononcent chaque jour un « vœu de consécration totale à la Volonté Divine » — fût-ce au prix de leur vie — pour obtenir la fin des massacres de la Terreur et la paix pour l’Eglise et l’Etat.

Plaque commémorative apposée sur l’une des trois maisons où les carmélites se sont réfugiées à Compiègne.
Eglise Saint-Antoine à Compiègne où l’abbé Jean-Baptiste Courouble (ou Caroube) célèbre la messe – avec l’autorisation du curé constitutionnel Thibaux – pour les carmélites expulsées de leur couvent, et qui résident dans des maisons proches de cette église.

Elles sont arrêtées les 22-23 juin 1794 et incarcérées à l’ancien couvent de la Visitation, transformé en prison. La Terreur est alors au plus fort et touche notamment les ordres religieux. Ainsi à Arras, le 26 juin, quatre religieuses des Filles de la Charité sont exécutées et en juillet, 32 religieuses, Ursulines, sacramentaires et bernardines, ainsi que 30 prêtres, sont guillotinés.

Le 12 juillet 1794, les seize carmélites sont transférées de Compiègne à Paris, où elles sont jugées le 17 juillet sous l’accusation de « machiner contre la Révolution ». L’acte d’accusation est rédigé par Fouquier-Tinville. Elles sont condamnées à mort et exécutées le jour même comme « fanatiques et séditieuses ».

Le 17 juillet, en marchant vers leur martyre, elles prient et chantent le Miserere, le Salve Regina et le Te Deum.  Au pied de l’échafaud, elles entonnent le Veni Creator et renouvellent les promesses de leur baptême et leurs vœux religieux.  Sœur Constance de Jésus (Meunier), novice, est appelée la première.  Elle demande à la Mère prieure (Thérèse de Saint-Augustin Lidoine) sa bénédiction et la permission de mourir.  Elle gravit ensuite les marches de l’échafaud en chantant le Laudate Dominum omnes gentes.  La même scène se produit pour les autres sœurs.  La prieure est immolée la dernière.  Elles sont ensuite inhumées dans une fosse commune au cimetière de Picpus.  Le 27 mai 1906, elles sont béatifiées par le pape Pie X.

« Quel bonheur de mourir pour son Dieu ! » s’était écriée l’une d’elles.  « Soyons les dernières à mourir. » En effet, dix jours après ce sacrifice cessait la tourmente qui, pendant deux ans, avait répandu sur le sol de France le sang des fils de France » (Décret de Béatification)

Les carmélites de Compiègne furent béatifiées deux semaines après que Julie eut reçu cet honneur le 13 mai 1906.

Comme les carmélites de Compiègne, Julie, humblement, participe au mystère d’amour d’un Dieu blessé par la souffrance du monde.  Malgré le danger des troubles liés à la Révolution française, sa conviction intime en la Bonté de Dieu est inaltérable.  Entièrement paralysée et ne pouvant s’exprimer, elle donne un sens à sa vie en s’offrant en victime et en présentant au Christ sa vie de femme dépossédée de toute activité et de toute possibilité de service.  Cet abandon la conduit à une confiance absolue.  Elle écrira plus tard :

Un signe fut donné à Julie, comme une réponse et aussi comme un appel à un don absolu (voir le thème du mois de mai) :  https://snddensjb50.org/2019/05/01/compiegne-theme-la-vision/

Si la croix est présente, Julie sait qu’elle est l’expression de l’infinie bonté de Dieu et de son incommensurable amour.

l’appel universel à la sainteté

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COMMENT JULIE EST DEVENUE SAINTE -CANONISATION

En 2019, les Sœurs de Notre-Dame qui forment une grande famille internationale célèbrent le 50ème anniversaire de la CANONISATION de leur fondatrice, sainte Julie Billiart.

Les archives générales de la congrégation et le centre d’héritage ont réalisé une EXPOSITION pour comprendre comment Julie est devenue sainte.  Plusieurs panneaux avec des documents d’époque vous racontent sous forme de frise chronologique les évènements entre 1881 et 1969.

L’exposition est accessible aux horaires d’ouverture du centre d’héritage (Maison mère des SND 17, rue Julie Billiart à Namur – Belgique) : du lundi au vendredi de 9h00 à 12h00 et de 13h00 à 16h00 (week-end, jours fériés et groupes sur demande).

Sainteté par les papes Paul VI (1969) et François (2018). Clic et lire le document.

Photos de l’exposition au Centre d’héritage à Namur.

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Les 6 étapes du processus de canonisation de Julie Billiart:

  1. Enquête diocésaine pour établir la réputation de sainteté (1881-1889)
  2. Acceptation du « dossier » par le Vatican ; Julie devient Vénérable (1889)
  3.  Procès apostolique (1890-1897) et approbation de trois miracles (1905)
  4.  Julie devient bienheureuse (1906)
  5.  Reprise de la cause et approbation de deux miracles (1924-1968)
  6.  Julie devient sainte (1969).

Enquête dans les ARCHIVES sur la canonisation de Julie Billiart

50 ans après, comment la sainteté de Julie est-elle encore un exemple ?  Comment inspire-t-elle tous ceux qui marchent dans ses pas : les sœurs, les associés, les volontaires, les amis, les professeurs et les élèves ?

                         1: La Sainte qui sourit. Cliquez ici pour lire et télècharger la ligne du temps.

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Illustration2-editedMère Aloysie, 6ème supérieure générale (1875-1888)

Illustration3 editedMgr Gravez, évêque de Namur (1867-1883)

Illustration4 editedLettre de Mgr Gravez, évêque de Namur qui accepte la requête de Mère Aloysie à propos de l’introduction des causes de Julie et Françoise, 18 mars 1881.

Illustration5 editedBillet de convocation au procès diocésain, 4 octobre 1881.

Illustration6-edited-2Trois gros volumes reliés avec toutes les lettres postulatoires en vue de l’Introduction de la cause de Julie, Archives générales de la congrégation, Namur.

Illustration7Armoire avec tous les documents officiels liés à la cause de Julie Billiart, Archives générales de la congrégation, Namur.

Illustration8 editedLettre postulatoire pour l’Introduction de la cause de Julie signée par la reine des Belges, Marie-Henriette (épouse du roi Léopold II), 1888.

                                     2: Vénérable Julie. Cliquez ici pour lire et télècharger la ligne du temps.

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Illustration9 editedTémoignage de la Sœur Marie Adèle Claus déposé à Clapham (G-B) le 16 juin 1882 en vue de la béatification de Julie.

Illustration10_1889_DecretDécret d’introduction de la cause de Julie, 1889.  Julie devient Vénérable.

                                  3: Bienheureuse Julie. Cliquez ici pour lire et télècharger la ligne du temps

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Illustration11Châsse de sainte Julie exposée au Centre d’héritage à Namur.  Pour en savoir plus : http://www.snddenheritagecentre.org/MUSEE/index.php/la-mort-de-julie/chasse

Illustration12-editedPape Pie X, le Cardinal Ferrata (Protecteur de l’Institut à Rome), Mgr Heylen (évêque de Namur) et Mère Aimée de Jésus avec leur blason.

Illustration13-editedOrigine et signification du blason des Sœurs de Notre-Dame de Namur.

Illustration14Affiche des célébrations à Namur pour la béatification de Julie, 17-21 mai 1906.

Illustration15Photo des fêtes à Namur, 1906

                                      4: Sainte Julie. Cliquez ici pour lire et télècharger la ligne du temps.

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Illustration16-editedRévérend Ugo Märton, O. Praem., Postulateur de la Cause, remercie le Pape Paul VI pour la canonisation de sainte Julie.

Illustration17-editedCanonisation à Rome par le Pape Paul VI.

Illustration18-editedActe officiel (en parchemin avec enluminures) signée par le Pape Paul VI le 22 juin 1969 : Julie Billiart devient sainte

                       5: MIRACLES DE LA BÉATIFICATION

Dans son homélie du 22 juin 1969, le Pape Paul VI nous parle de la sainteté et des miracles.

« L’hagiographie, qui est l’étude de la sainteté, s’est souvent intéressée avec passion aux ASPECTS MIRACULEUX de celle-ci, au point d’identifier la sainteté par le miracle. 

C’est ainsi qu’AUTREFOIS la sainteté a parfois été agrémentée de MIRACLES IMAGINAIRES ET DE LÉGENDES FANTASTIQUES.  On voulait par-là, non pas porter atteinte à la vérité historique, mais rendre au saint un hommage gratuit, conventionnel, poétique. 

MAINTENANT, il n’en est plus ainsi : le miracle reste une preuve, un signe de sainteté, mais il n’en constitue pas l’essence.  Aujourd’hui, l’étude de la sainteté s’intéresse surtout à la VÉRITÉ HISTORIQUE des faits et des documents qui l’attestent, et aussi à l’exploration de la PSYCHOLOGIE des saints. »

Pour être reconnue bienheureuse, la vénérable Julie doit avoir accompli au moins un miracle après sa mort.

La reconnaissance d’un miracle est soumise à des règles strictes.  Une enquête médicale est menée sur les personnes afin de prouver leur guérison miraculeuse par l’intercession de la vénérable Julie.

En 1905, trois miracles sont attestés par la Sacrée Congrégation des Rites.

  1. En 1882, Armand Hubin (de Liège), âgé de 16 ans, guérit miraculeusement après que sa mère se rendit au tombeau de Julie et appliqua une relique sur l’ulcère de sa jambe.
  2. Jean Noël Grégoire (de Namur), âgé de 20 ans, souffrait depuis de nombreuses années à l’une de ses jambes suite à une mauvaise chute. En 1881, en désespoir de cause, on commença une neuvaine à Julie et une relique fut appliquée sur sa blessure.  Dès le premier jour, il retrouva une santé parfaite.
  3. Louis Waëlens (de Bruges), 28 ans, souffrait d’un ulcère à l’estomac. Il était incapable de manger depuis des années à cause de la douleur et dépérissait.  En 1886, sa femme se rendit chez les sœurs pour leur expliquer les souffrances de son mari.  Elles lui donnèrent une relique et suggèrent de commencer une neuvaine à la vénérable Julie.  Cette nuit-là, Louis Waëlens fut capable de manger sans douleur pour la première fois depuis des années.

Illustration19-editedLouis Waëlens guérie miraculeusement par la vénérable Julie en 1886.

Illustration20-editedDécoration de la basilique Saint-Pierre de Rome le 13 mai 1906

            6: LES MIRACLES DE LA CANONISATION

Les Sœurs ont reçu des centaines de lettres attestant de guérisons miraculeuses par l’intercession de la bienheureuse Julie.  Parmi ces centaines de dossiers, seuls quatre ont été examinés par la Sacrée Congrégation des Rites (et deux seront finalement reconnus en 1958 et 1967).

Le premier miracle reconnu est celui d’Otacilio Ribeiro.  L’histoire se déroule à Campos Novos, au Brésil, le 29 septembre 1950.  Otacilio Ribeiro, un jeune fermier de 29 ans, est emmené à l’hôpital par son père à cause d’une tumeur dans le bas ventre.  Ils sont accueillis par Sœur Maria Bardona et Sœur Mary Ludivine, des SND de Coesfeld.  Après avoir pratiqué l’incision, le Docteur Janh Martins Ribeiro juge impossible de procéder à l’ablation de la tumeur qui est inaccessible et condamne le malade.  « Ma sœur, dit le médecin, il ne vivra pas une heure de plus. »

Les deux sœurs de Coesfeld et une troisième, Sœur Maria Adélaïde, commencent alors à prier la bienheureuse Julie.  Le lendemain, Otacilio revient à lui ; sœur Ludivine l’invite à se joindre à leurs prières et applique une relique de Julie à l’endroit de l’incision.  Le médecin ne lui donne pas trois jours à vivre.  Pourtant, quelques jours plus tard, Otacilio appelle la sœur : « Sœur, il y a quelque chose d’inhabituel.  Je ne peux pas expliquer mais c’est différent. »  Le lendemain, Otacilio pouvait s’asseoir.

Une semaine plus tard, Otacilio est guéri.  Ses parents offrent aux sœurs un kilo et demi de cire pour les bougies et Otacilio promet d’appeler sa fille Julie si il en avait une un jour.

En 1952, Mère Mary Verona, l’assistante de la supérieure générale des SND de Coesfeld, écrit à Sœur Ludivine au Brésil afin qu’elle soumette le miracle d’Otacilio Ribeiro à la Sacrée Congrégation des Rites.  Le 17 janvier 1958, le miracle est authentifié.

Quant au second miracle, il est reconnu par le Vatican le 10 mars 1967.  Il s’agit du miracle de Homère Rhodius, datant de 1919.  A cette époque, Homère Rhodius était âgé de 69 ans.  Il souffrit d’une crise d’urémie qui le réduisit en quelques jours à un état très grave.  Les médecins jugèrent la maladie inguérissable.  La fille d’Homère Rhodius, Sœur Marie-Ludovica, était SND de Namur ; elle entama une neuvaine dans la chapelle du jardin où Julie était enterrée.  Une relique fut appliquée sur le malade et aussitôt, l’état du malade s’améliora sensiblement.  Et en moins d’un mois, il était parfaitement guéri.

Soumis en 1924, au moment de la reprise de la cause de Julie, ce miracle n’avait pas été validé par le Vatican.  C’est la première fois qu’un avocat du Consistoire, Giovanni-Battista Ferrata, réussit à obtenir un changement du premier jugement de la Consultation Médicale!

Illustration21-editedMonsieur Otacilio Ribeiro (miraculé) et sa fille Julie. 

Illustration22-editedPositio Super Miraculis reprenant les deux miracles de la canonisation, 1968.

Illustration23-editedBannière réalisée par Missori en 1968 pour la canonisation de sainte Julie.  On y voit Sainte Julie avec une SND de Namur et deux « cousines » (une SND d’Amersfoort et une SND de Coesfeld qui se réclament du même esprit et suivent la même règle mais sans lien juridique avec la congrégation des SND de Namur), entourée des enfants de toutes les nations.

Compiègne Thème – la vision

English

En tant que disciple de Jésus, Julie savait que la croix était inévitable dans sa vie: elle fit l’expérience d’épreuves et de souffrance. Mais elle savait aussi que c’était par la croix qu’elle ferait l’expérience de la résurrection et d’une nouvelle vie.

1_Citation_FR_Correction

2_BD-charette_FR
Dessin de la Bande dessinée, sainte Julie Billiart, éditions du Signe, 2000. (Disponible au Centre d’héritage des SND – heritagecentre@sndden.org)

Menacées à Gournay-sur-Aronde par les révolutionnaires, Julie et sa nièce Félicité sont emmenées à Compiègne et abandonnées dans la cour d’une auberge. Ce devait être en avril 1792, comme le rappelle un graffiti sur le mur du château de Gournay-sur-Aronde. Les années passées à Compiègne sont sans doute les plus difficiles de la vie de Julie. La santé de Julie se détériore vite : tout-à-fait paralysée, elle perd l’usage de la parole comme en témoigne l’abbé de Lamarche qui l’a connue en 1793 : « La Mère Julie vivait retirée dans une chambre, avec une de ses nièces qui la servait. J’allais la visiter, elle ne parlait que par signes. Pour la confesser, il fallait qu’elle fût avertie au moins une heure à l’avance. ». Infirme, elle s’offre en victime, présentant au Christ sa vie de femme dépossédée de toute activité et de toute possibilité de service. Poursuivies et indésirables, Julie et sa nièce changent plusieurs fois de logis jusqu’en octobre 1794, date à laquelle Madame Baudoin qui passait autrefois ses étés à Cuvilly prit Julie sous sa protection et la fit venir à Amiens.

• Compiègne et la Révolution

Alors que Julie est à Compiègne, le Roi Louis XVI est arrêté. C’est la fin de la royauté en France : la monarchie est remplacée par une République en septembre 1792. Le roi est exécuté mais pour faire face aux nombreux contre-révolutionnaires et monarchistes français, Robespierre met en place des mesures exceptionnelles qui seront appelées plus tard la « Terreur ». La plus connue est la terrible loi des suspects qui impose de recenser tous ceux qui desservent la cause de la Révolution. Partout, des comités de surveillance contrôlent l’opinion. Ils envoient les suspects aux tribunaux d’exception ou au tribunal révolutionnaire. Près de 20 000 personnes, suspectées de sympathie pour la contre-révolution, sont exécutées.

« Les jours ténébreux sont peut-être pour
nous les plus heureux pour glorifier le bon Dieu. »
Julie Billiart

• Julie, « l’indésirable »

Partout on recherche ceux qui desservent la cause de la Révolution française : c’est le cas des 16 Carmélites de Compiègne qui refusent de prêter serment de fidélité à la Nation (car en opposition avec leurs vœux d’obéissance). Le 17 juillet 1794, les Carmélites de Compiègne sont guillotinées à Paris.

Cette nouvelle fut sans doute très douloureuse pour Julie car elle était en relation avec les Carmélites de Compiègne (il s’agit du thème du mois de juillet : Julie et la persécution des Carmélites de Compiègne) :

  •  elle connaissait l’abbé de Lamarche qui, déguisé en ouvrier, avait béni chacune des Carmélites allant à la mort.
  • par sa nièce Félicité qui lavait le linge pour elles. On le sait grâce à une lettre de Mère Henriette de Croissy, Carmélite (entre 1792-1794).

Comme les Carmélites, Julie s’offre à Dieu pour sauver la France et les chrétiens ; elle souffrira profondément de leur mort violente à Paris en juillet 1794. Une lettre du Père de Lamarche à l’abbé Belfroy en 1820 permet d’approcher un peu le mystère de solidarité étonnante vécu par Julie à Compiègne avec tous les opprimés, les laissés pour compte : « Je l’ai suivie par intervalles environ une année ; j’admirais de plus en plus les progrès qu’elle faisait dans la piété. Elle s’offrait continuellement comme victime à Dieu pour apaiser sa colère… toujours calme, toujours unie à Dieu. Son oraison était presque continuelle. ». Le témoignage de l’abbé de Lamarche exprime son admiration pour la foi et la force d’âme de Julie.

3_Citation_FR
• Julie, isolée et sans grande nourriture spirituelle

Auprès de Julie, peu de personnes : sa nièce Félicité, qui au jour le jour devait la tenir au courant de la situation extérieure et notamment de la mort de son père en juin 1792. A partir de 1793, l’abbé de Lamarche qui fait sa connaissance alors « qu’il rendait des services de religion » à des personnes pieuses et aux Carmélites. On peut émettre l’hypothèse que ces dernières ont été à l’origine de cette rencontre, ou bien que l’abbé de Lamarche ait connu, par l’abbé Courouble, en 1792, l’adresse et le nom de l’infirme. Et sans doute, avant leur exil pour Liège, en novembre 1792, les abbés Courouble et Carlet, directeurs l’un des Carmélites, l’autre de la Visitation.

• « Confiance, amour, abandon total entre les mains du bon Dieu : voilà notre force, notre soutien » Julie Billiart

4_BD visioncompiègne_FR
Dessin de la Bande dessinée, sainte Julie Billiart, éditions du Signe, 2000. (Disponible au Centre d’héritage des SND– heritagecentre@sndden.org)

C’est lorsqu’elle souffrait le plus de son état physique, quand elle était totalement impuissante, traquée, entourée de la violence et de l’insécurité de l’époque que Julie vécut une des expériences spirituelles les plus profondes de sa vie. C’est à Compiègne qu’un jour, ravie en extase, Julie voit soudain Jésus en croix sur le Calvaire, entouré d’un grand nombre de femmes portant un costume religieux qu’elle ne connaît pas. Julie reçoit alors sa vocation de fondatrice : « Ce sont les Filles que je te donne dans l’Institut qui sera marqué de ma croix. »

C’est dans les souvenirs de quelques pensionnaires et surtout dans les dépositions en vue de la béatification (1881-1889) conservées dans les archives de la congrégation à Namur que nous trouvons des témoignages mentionnant la vision que Julie a eue à Compiègne vers 1793.

5_Depositions
Photo des fardes contenant les dépositions des sœurs en vue de la béatification de Julie. Archives générales de la congrégation à Namur.

« Elle avait eu une vision où le bon Dieu lui avait révélé l’œuvre qu’elle devait un jour fonder. Elle avait vu un calvaire, puis tout ce qu’elle devait endurer : souffrances, persécutions, etc., etc. Elle avait vu aussi des religieuses avec notre costume, et notre Seigneur lui avait dit : « Ces religieuses seront vos enfants. » Souvenirs de Mère Julie par Sœur Reine Cambier âgée de 78 ans, 1879 [Cahier vert 29 (Archives générales), p. 130-134].

1. Julie parle très peu de cette intuition mystique. Ce sont toujours des révélations intimes à l’une ou l’autre confidente.

« Comme je n’en ai jamais parlé à personne puisque cela m’était dit en confiance, j’ai un peu oublié. » Témoignage de Mademoiselle Henriette Fallon âgée de 84 ans (ancienne pensionnaire qui a connu Julie Billiart en 1809), Namur, 1879 [Cahier vert 28 (Archives générales), p. 78].

«Notre fondatrice était si humble qu’elle ne parlait jamais de cette vision. Nous l’avons connue par ma Sœur Anastasie, supérieure de la maison de Namur (1816-23). […] Sr Madeleine (celle qui marchait à béquilles) m’a raconté les mêmes choses, mais ma Mère Julie se confiait très rarement à ce sujet. » Souvenirs de Mère Julie par Sœur Reine Cambier, 1879.

« En 1812, si je ne me trompe pas, au moment où ma Mère Julie se rendait à Amiens pour la réunion, elle a eu encore une vision et l’a écrite à notre chère Mère Saint-Joseph, que nous avons voulu interroger à ce sujet, mais elle répondait : « Vous saurez tout cela au ciel. » puis elle souriait et quand nous insistions elle disait : « Ma Mère Julie ne serait pas contente si je parlais, car elle m’a fait déchirer la lettre qu’elle m’écrivit d’Amiens, et dans laquelle elle me racontait ce que notre Seigneur lui avait montré et dit quand elle approchait d’Amiens. » Souvenirs de Mère Julie par Sœur Reine Cambier, 1879.

Voici quelques précisions sur la vision de 1812 dont parle Sr Reine (voir le Procès de Fama sanctitatis en vue de la béatification de Julie). L’évêque d’Amiens avait exprimé ses regrets d’avoir éloigné Mère Julie de son diocèse et l’invitait à y revenir. Au moment de son entrée dans la maison (rue du Faubourg de Noyon à Amiens), Julie eut une apparition de Jésus-Christ chargé de la Croix, adressant ces paroles à Julie elle-même :  « Regardez-moi et suivez-moi ; je suis la Voie, la Vérité et la Vie. » En même temps, le Sauveur paraissait s’éloigner de la maison du Faubourg-Noyon. Julie émettait beaucoup de réserves au sujet de ces grâces extraordinaires de sorte que les Sœurs ne surent que peu de choses de ce qui lui était arrivé. Mais encore une fois le thème de la croix était présent dans la vie de Julie.

2. La description de la vision est toujours la même : croix – persécution à Amiens – religieuses en costume

6_MAClaus_1882-1Télécharger le Témoignage de la Sœur Marie Adèle Claus déposé à Clapham (G-B) le 16 juin 1882. 6_MAClaus_1882 «

Les plus anciennes Sœurs de la congrégation nous ont parlé d’une vision dont fut favorisée notre Mère, pendant les années de souffrances et de privations qu’elle passa à Compiègne avant son séjour à Amiens, chez le Vicomte Blin de Bourdon : Il fut montré à Julie Billiart, encore sur son lit des douleurs, (1793), une CROIX ÉLEVÉE sur une montagne et au pied de la croix, un grand nombre de RELIGIEUSES, VÊTUES COMME NOUS LE SOMMES ; et Notre Seigneur lui dit que ces religieuses seraient ses enfants ; mais qu’elle aurait à subir une grande PERSÉCUTION À AMIENS. » Témoignage de la Sœur Marie Adèle Claus déposé à Clapham (G-B) le 16 juin 1882, pg 38-39.

3. Persécution à Amiens

« Notre bonne Mère Julie dit que c’était à cause de cette vision qu’elle avait éprouvé tant de répugnance à venir à Amiens, quand Madame Baudouin l’y appelait ; qu’elle savait que l’œuvre de l’Institut se ferait, mais qu’elle ne savait ni quand, ni comment. » Souvenirs de Mère Julie par Sœur Reine Cambier, 1879.

4. Visages qu’elle a reconnus plus tard, parmi lesquels

  • Mère Saint-Joseph : « Parfois pleine d’un confiant abandon, la bonne Mère Julie me racontait à la gloire du Sacré-Cœur de Jésus, pour lequel elle avait un si grand amour, sa guérison miraculeuse puis en se promenant elle me dit un jour, qu’étant encore sur son lit de douleur à Compiègne, incapable de bouger à cause de sa paralysie, le bon Dieu lui avait montré l’œuvre qu’il voulait accomplir par elle, et qu’elle avait vu dès lors que Mademoiselle Blin serait sa compagne dans cette œuvre, aussi ajouta-t-elle, quand Mademoiselle Blin me fit sa première visite après sa sortie de prison, je la reconnus immédiatement ! » Témoignage de Mademoiselle Henriette Fallon âgée de 84 ans (ancienne pensionnaire qui a connu Julie Billiart en 1809), Namur, 1879 [Cahier vert 28 (Archives générales), p. 78].
  • « Que dès lors elle avait distingué notre Révérende Mère St Joseph qui serait plus tard le salut et le soutien de l’Institut. » Déposition de la Sr Marie Claudine (dans le monde Julie Godefroit) le 25 janvier 1883 à Chimay, pg 56-57.

 

Après la mort de son père en 1797, Françoise était libre de se consacrer à Dieu comme elle le souhaitait. Mais, elle avait des doutes quant à la forme du projet : elle hésitait à devenir Carmélite. Ce n’est qu’à ce moment-là que Julie lui fit part de ce qu’elle avait vu au cours d’une vision qu’elle avait eue quand elle se cachait à Compiègne : des femmes religieuses rassemblées au pied de la croix et parmi elles se trouvaient le visage de Françoise que Julie ne connaissait pas encore. Après le décès du Vicomte Blin, Julie se sentait libre de lui parler de ses intuitions dans quelques lettres:

« J’ai toujours devant les yeux ce dont je vous ai parlé une fois : que le bon Dieu me fera la grâce de finir mes jours avec vous – La divine Providence ayant permis que je vous connaisse, vous aurez de quoi exercer votre zèle avec moi … – Sitôt que j’ai su la mort de votre papa, je vous ai vue vous jeter dans mes bras. Il m’a semblé que ç’allait être le moment où le bon Dieu vous donnerait à moi et moi à vous d’une manière si forte que la mort seule nous séparerait. »

  • Sr Ursule (Marie) Blondel : « Dans cette vision, elle connut distinctement chacune de ses premières religieuses, […] » « Quand la jeune MARIE (BLONDEL) se présenta à notre digne Mère, lors d’un de ses voyages à Gand, le 11 juin 1812, notre bonne Mère voyant s’approcher cette candide jeune fille de 17 ans fit un pas vers elle, et dès que Marie dit : « Ma Révérende Mère, permettez-moi de solliciter la faveur … » notre fondatrice interrompit la future postulante et l’embrassant avec effusion, lui dit : « Oui, oui, vous serez ma bonne chère fille, je vous ai vue à Compiègne. » Notices des sœurs défuntes, XIV, pg 47 et Déposition de la Sr Julienne des Anges (Marie Philomène Berlenger) le 2 août 1882 à Anvers, pg 3-4.
  • « Mais notre respect pour notre vénérée Fondatrice était tel, que pas une de nous pas même notre Supérieure, Sr Marie Steenhaut, n’osa demander à notre chère Mère Julie l’explication de cette parole : « Je vous ai vue à Compiègne ». Annales du Nouveau-Bois à Gand.

7_Citation_FR

Les réfugiés SDF ou immigrants

anglais

1_CitationPape

A cause des troubles liés à la Révolution française, Julie est contrainte de fuir son village natal en mai 1791.  A 40 ans, elle n’avait jamais quitté Cuvilly, ses parents et sa famille.  Durant trois ans, elle fuit et se cache.  Bien qu’elle reçoive la protection de quelques bienfaitrices qui prennent des risques énormes en la cachant et l’aide de sa nièce Félicité qui l’accompagnera sur le chemin de l’exil, cette période est la plus sombre de sa vie.

Pourtant la souffrance et les grandes difficultés n’enlèvent rien au fait de sa confiance en Dieu.

2_CitationJulie

  • Janvier à mai 1791 : Troubles religieux à Cuvilly

Quand la Révolution éclate à Paris en juillet 1789, Julie fête ses 38 ans.  Elle est paralysée déjà depuis plusieurs années : en 1782, Julie avait été touchée par une épidémie que les médecins de l’époque croyaient pouvoir guérir par d’abondantes saignées qui, peu à peu, lui enlevèrent l’usage des deux jambes.  Ce fut pour elle un temps de profonde croissance spirituelle.  Clouée dans son lit, Julie prie beaucoup et continue son œuvre de catéchiste en accueillant des villageois parmi lesquels ses bienfaitrices.  Julie ouvrait des chemins de totale confiance en Dieu aux habitants de Cuvilly, déboussolés par les idées nouvelles et les tourments liés à la Révolution.

C’est en 1791 que les troubles éclatent à Cuvilly.  Le 12 juillet 1790, la France adoptait un nouveau décret, la « Constitution civile du clergé » : le clergé devenait un corps de fonctionnaires payés et choisis par l’Etat ; ceux-ci devaient prêter un serment de fidélité à la nation.  Les prêtres avaient jusqu’au 1er janvier 1791 pour prêter serment.

3_Serment
Illustration qui montre comment obliger les prêtres à prononcer serment de fidélité à la nation.

Le 9 janvier 1791, l’abbé Dangicourt, en place à Cuvilly depuis plus de 15 ans, et son vicaire Delaporte prêtent serment dans l’église paroissiale en ces termes :

« Je jure de veiller avec exactitude sur les fidèles qui nous sont confiés, d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi et de soutenir, de tout notre pouvoir, la Constitution décrétée par l’Assemblé Nationale et acceptée par le roi, en tout ce qui ne sera pas contraire à la religion, étant écrit dans la suprême loi : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »

4_SermentDangicourtclic qui permet d’agrandir et de lire le document
Texte du serment des prêtres Dangicourt et Delaporte, 9 janvier 1791 (expédition au Département le 16 janvier 1791), Bibliothèque Municipale de Compiègne (B. M. C.), Mss 169, pièce 36.  Cliquez pour agrandir l’image.

Ce serment est considéré comme mauvais par le district.  En s’opposant aux idées de la Révolution, l’abbé Dangicourt et son vicaire deviennent ennemis de l’Etat.

Invités le 29 janvier à refaire leur serment par les autorités compiégnoises, les deux hommes s’y refusent.

clic qui permet d’agrandir et de lire le document
Lettre autographe du curé Dangicourt regrettant de ne pas se rendre à Compiègne, 4 avril 1791, B.M.C., Mss 169, p. 47.  Cliquez pour agrandir l’image.

A la différence de la plupart des autres cas, les deux ecclésiastiques trouvent un solide appui dans la masse de leurs paroissiens et dans la municipalité du village : les notables de Cuvilly présentent au District, le 12 mars, une pétition pour garder leurs curé et vicaire, et les salarier par une contribution volontaire tandis que la municipalité de Cuvilly demande au district de garder son curé : «… la perte d’un pasteur que les habitants de Cuvilly considèrent comme un père serait pour eux un sujet d’affliction que nous voudrions éviter …».  Finalement la cure est déclarée vacante et l’ancien cordelier compiégnois, Jean-Baptiste Rollet, est investi le 8 mai de la lourde tâche consistant à remplacer l’abbé Dangicourt.

clic qui permet d’agrandir et de lire le document
Proclamation des prêtres élus aux cures vacantes, 9 mai 1791, Archives Municipales Compiègne, P4 dossier 18-24, cultes.  Cliquez pour agrandir l’image.

Dès son arrivée le 15 mai à Cuvilly, le nouveau curé reçoit des lettres anonymes de menaces, tandis que la réception municipale est des moins chaleureuses.  Le 24 mai, il envoie un appel au secours au district dans une lettre.

clic qui permet d’agrandir et de lire le document
Retranscription d’un extrait du Registre des Délibérations du Directoire du District de Compiègne, 25 mai 1791, Archives Départementales de l’Oise – Série L.  Cliquez pour agrandir l’image.

Le district dépêche alors trois de ses membres accompagnés de détachements de la garde nationale et du régiment du Berry pour aller rétablir l’ordre à Cuvilly.  On arrête l’ex-vicaire Delaporte ainsi que plusieurs habitants considérés comme meneurs des troubles.  Trois de ces prisonniers, les Guilbert et Lanvin, sont de la parenté de Julie.  Les prévenus, Delaporte vicaire et François Lanvin maçon, sont conduits devant le tribunal du Département de l’Oise tandis que les Guilbert sont renvoyés à Cuvilly sous la surveillance de la municipalité.  Finalement, les prévenus bénéficient de l’indulgence du Tribunal.  Le calme semble rétabli dans la paroisse de Cuvilly où un nouveau maire est bientôt élu.

L’abbé Dangicourt serait parti pour le mont Valérien, en juin 1791, il meurt à Paris en octobre de la même année.  L’abbé Delaporte, de retour au village, aurait continué à dire la messe dans la chapelle du château de Séchelles.  On ignore où il séjourne entre 1791 et 1829, date à laquelle on le retrouve curé à Ressons-sur-Matz.

Quant à Julie, elle souffre de plus en plus mais sa confiance en la bonté de Dieu ne fait que se renforcer.  Elle devient un tel exemple de confiance et de fermeté dans la foi que les forces révolutionnaires voient en elle une menace.

« Julie eut le bonheur de préserver du schisme beaucoup de personnes qu’elle instruisait quand elles venaient la voir. » (Abbé Trouvelot, 1820)

« Et telle fut l’estime que les villageois avaient conçue pour la pauvre infirme que lorsqu’ils se virent privés de leur pasteur légitime, ils consultèrent Julie pour savoir s’ils devaient obéir au prêtre constitutionnel.  Forte dans sa foi, elle empêcha tout ce peuple de sombrer dans le schisme, ce qui lui a valu la persécution des partisans de la révolution. » (Sr Thérèse de la Passion, 1881)

Il est intéressant de noter qu’en 1793-94, Cuvilly reste l’une des communes du district les plus récalcitrantes à la déchristianisation ; l’agent national Bertrand déplore les « regrets du culte » manifestés par les habitants et leur reproche «leur opiniâtreté et leur entêtement pour le régime superstitieux et fanatique».

  • Chemin de l’exil
    Mai 1791 : Julie trouve refuge à Gournay-sur-Aronde

Persécutée à cause de sa prise de position vis-à-vis des “prêtres constitutionnels” (ceux qui ont prêté serment de fidélité à l nation), Julie est contrainte de fuir Cuvilly et de se cacher.  Madame de Pont l’Abbé dont le château se trouve à Gournay-sur-Aronde lui offre l’hospitalité en prenant des risques énormes comme tous ceux qui voulaient aider les personnes non désirées.  « Cette dame, qui venait autour du lit de Julie à Cuvilly et dont elle est extrêmement aimée, pour la soustraire à la persécution, vient la chercher dans sa voiture et la mène au château. »  Elle en prend soin jusqu’au moment où la fureur de la Révolution la contraint elle-même d’abandonner son château.  Julie est accompagnée de sa nièce, Félicité, âgée de 16 ans mais ne reverra plus son père, décédé alors qu’elle était à Compiègne, et apercevra une dernière fois sa mère quand elle fut transportée de Compiègne à Amiens.

8_CitationBiblique

9_GournayChâteau de Gournay-sur-Aronde

Julie demeure approximativement un an chez Madame de Pont l’Abbé.  Tourmentée elle-même, Madame de Pont l’Abbé doit fuir en Angleterre avec d’autres aristocrates émigrés, où elle meurt, laissant Julie et sa nièce Félicité, à la garde du concierge, Monsieur Camus.  Celui-ci, gendre du régisseur de la famille de Pont l’abbé, vient d’acquérir, comme bien national, la ferme du château régie par son beau-père.  Selon le Père Charles Clair, Monsieur Camus et Julie deviennent très vite amis.  Malgré ce gage donné à la Révolution, Monsieur Camus ne paraît pas avoir été un chaud partisan des idées du jour ; car il témoigne à la « fanatique dévote » un respectueux attachement dont le souvenir s’est précieusement conservé dans sa famille.

Chronologie du château de Gournay-sur-Aronde, cliquez ici.

D’après le témoignage du Père Sellier, «quand les révolutionnaires vinrent s’emparer du château et mettre la séquestre sur tout ce qu’il renfermait, les domestiques conduisirent Julie sur une charrette remplie de différentes pièces de meubles (d’autres dépositions parlent d’une charrette de foin) jusque sur la place de Compiègne où une famille charitable dont on ignore le nom en eut compassion»

Ce devait être en avril 1792, comme le rappelle un graffiti sur le mur du château.

10_Graffiti-1Graffiti du château de Gournay, mur latéral : souvenirs, en particulier, des troupes qui y furent cantonnées à l’époque révolutionnaire : « le 2ème bataillon de la Haute-Vienne foutra le bal aux aristocrates – 1792 La Nasion – 1794 Hemeri ».

Les patriotes des environs voulaient-ils s’en prendre uniquement à Julie, « la dévote », ou à Madame de Pont l’Abbé, dame noble qui la protégeait?  On peut s’étonner qu’une paralysée puisse être suspecte pour des révolutionnaires.  Mais il ne faut pas minimiser les incidents du 25 mai 1791 à Cuvilly ; parmi la population opposée à l’arrivée du prêtre constitutionnel, il y avait les Guilbert et Lanvin qui sont de la parenté de Julie.  Elle-même était connue à Cuvilly comme une fervente chrétienne en relation avec des prêtres non-constitutionnels ; et, qui plus est, elle eut partie liée avec des nobles, les de Pont l’Abbé, qui avaient émigré.  D’où les attributs de dévote… fanatique… suspecte.

Avril 1792 : Julie est abandonnée à Compiègne

11_CharretteJulie transportée dans une charrette de foin avec sa nièce.

Selon le témoignage de l’abbé Trouvelot, curé de Ressons-sur-Matz, Julie et Félicité reçoivent l’hospitalité des demoiselles de Chambon, qui auraient habité rue des Grandes Ecuries.  Nous ne savons presque rien de ces demoiselles, à part la bravoure dont elles ont dû faire preuve pour accueillir une étrangère bien mal à point !

« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli. » (Mt 25, 35)

A Compiègne, la santé de Julie se détériore vite.  Tout-à-fait paralysée, elle perd l’usage de la parole.

Poursuivies et indésirables, Julie et sa nièce changent plusieurs fois de logis en deux ans et demi mais comme le signale Sr Marie-Francine Vanderperre, les Archives de Compiègne n’ont pas gardé le souvenir de la réfugiée qui n’a pas défrayé la chronique locale.  Seuls, un billet de la Carmélite Mère Henriette de Croissy cite les noms de Julie et Félicité, et une liste de réquisition pour la farine dressée en 1794 signale Julie et sa « niesse », rue Dufour.

12_LettreCarmeliteclic qui permet d’agrandir et de lire le document
Lettre (entre 1792-1794) de Mère Henriette de Croissy, Carmélite. Arch. dép. Q, FF1 n°50.  Comme on le découvre dans cette lettre, Julie est en relation avec les Carmélites de Compiègne par sa nièce Félicité qui lavait, semble-t-il, le linge pour elles.  En 1793, Julie reçoit plusieurs visites du Père de Lamarche qui connaissait aussi les Carmélites de Compiègne.  Comme elles, Julie s’offre à Dieu pour sauver la France et les chrétiens ; elle souffrira profondément de leur mort violente à Paris en juillet 1794.  Cliquez pour agrandir l’image.

clic qui permet d’agrandir et de lire le document13_RequisitionCardon
Registre de réquisition avec signature du citoyen Cardon et datation du 27 mai 1794.  Cliquez pour agrandir l’image.

Octobre 1794 : Julie est accueillie à Amiens

En octobre 1794, Madame Baudoin qui passait autrefois ses étés à Cuvilly fait venir Julie à Amiens à l’hôtel Blin de Bourdon, où elle loue un appartement pour elle-même et ses trois filles.  Elle espére que la présence de l’infirme lui apporte force et courage après la mort de son père et de son mari sur l’échafaud.

« Vous traiterez l’étranger en séjour parmi vous comme un indigène du milieu de vous; vous l’aimerez comme vous-mêmes, car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte. » (Lévitique 19,34)

  • Les Sœurs de Notre-Dame de Namur ont aussi été des étrangères, des nouvelles arrivées.

En 2 février 1806, durant le chant du Nunc dimittis, Mère Julie a une vision de l’apostolat futur de la congrégation qui passerait les mers et porterait au monde le message de la « Bonne Nouvelle ».

« Comme tant d’autres congrégations internationales, nous avons voyagé bien au-delà de nos racines. Des Sœurs sont entrées dans des groupes sociaux, des quartiers et des pays où elles étaient des étrangères. » Newsletter du l’équipe du leadership de la congrégation (CLT), Mars 2019.

«  Notre histoire révèle qu’une vision étriquée de la mission et la crainte d’être critiquées (que pensait-on de nous ?) nous a empêchées d’accueillir comme membres des habitants du lieu.  Heureusement nos yeux et nos cœurs se sont ouverts. […]   Le partage d’événements de notre vie permet d’effacer notre complexe d’étranger, d’accueillir celle qui se trouve à nos côtés et d’ouvrir nos cœurs. » Newsletter du CLT, Mars 2019.

  • Les Sœurs de Notre-Dame de Namur accueillent aussi des réfugiés.

Dans cette tradition, remarquons ce que les sœurs reconnues « Justes parmi les nations » ont accompli pour sauver des juifs durant la guerre.

Pour en savoir plus sur les sœurs qui ont sauvé des enfants juifs durant la deuxième guerre mondiale, cliquez ici.

Aujourd’hui, encore, de nombreuses sœurs de Notre-Dame de Namur accueillent et soutiennent des réfugiés et des migrants, comme Sr Marie-Dominique Kohler qui vit en Suisse et donne des cours d’allemand aux réfugiés.

Pour lire le témoignage de Sr Marie-Dominique Kohler, cliquez ici. http://sndden.be/soeur-marie-dominique-kohler

« Ainsi donc vous n’êtes plus des étrangers, ni des hôtes ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu. » Eph. 2, 19.